À l'ouverture de la Bourse ce lundi 16 janvier, l'information est confirmée : Essilor et Luxottica ont signé hier un accord de fusion dans l'objectif de donner naissance à un champion européen de l’optique, baptisé EssilorLuxottica. Juridiquement, l’opération consiste en une prise de contrôle d’Essilor sur Luxottica. Le futur groupe, à forte dominante française, ne pèsera pas moins de 15 milliards d'euros de chiffre d'affaires (6,7 milliards pour Essilor et 8,8 milliards pour Luxottica en 2015), avec un poids en Bourse frôlant les 50 milliards d'euros*. Il pourrait ainsi se positionner au 7ème rang du Cac 40.

Cette opération, avant tout  financière, est l'une des plus grandes engagées en Europe depuis plusieurs années, venant allonger la liste des grandes fusions franco-italiennes. Elle répond à une logique stratégique de complémentarité entre un verrier reconnu mondialement pour ses verres ophtalmiques et un lunetier qui s'est également bâti un réseau de distribution global. Comment les deux géants de l’optique en sont-ils arrivés là ? Quelles seront les conséquences ? Enquête...

Essilor : 55 ans plus tard, l’histoire se répète pour le mastodonte des verres ophtalmiques

La success story d’Essilor est liée avant tout à son développement international et ses fusions-acquisitions réussies dans le verre. Pour mémoire, l’entreprise est elle-même née du rapprochement entre deux sociétés concurrentes pendant de nombreuses années.

En 1955, la société Essel lance avec succès la monture de lunettes Nylor qui permet de fixer le verre à la monture à l'aide d'un fil nylon. En 1959, elle révolutionne la correction de la presbytie en commercialisant le premier verre ophtalmique progressif au monde : le Varilux. De son côté, la société des Frères Lissac commercialise des verres ophtalmiques et des montures dans ses magasins d'optique, avant de devenir également fabricant de verres correcteurs. En 1959, elle lance le verre Orma 1000, en matière plastique légère et incassable. C’est en janvier 1972 qu'Essel et Silor (verre, montures, distribution) fusionnent et donnent naissance à Essilor, qui devient alors la troisième plus grande entreprise d'optique ophtalmique dans le monde. Dès 1975, elle fait son entrée en bourse.

Le verrier français s’est toujours positionné comme le pionnier dans l’innovation des verres correcteurs et a créé des marques internationalement reconnues (Varilux, Crizal et Transitions). En 2001, l'entreprise s'était séparée d'une partie de son activité montures en cédant Logo. Disposant de technologies de pointe, elle a depuis développé une approche nouvelle dans le solaire et la distribution par Internet, grâce à ses différentes acquisitions à travers le monde. Les dernières en date sont :

Essilor en chiffres :

  • 61 000 salariés
  • 32 usines
  • 490 laboratoires de prescription et centres de taillage-montage
  • 5 centres de recherche et développement dans le monde
  • 6,7 milliards d’euros de CA en 2015

 

Luxottica : une alliance nécessaire

Depuis sa création en 1961, Luxottica s’est construit un remarquable portefeuille de plus de 25 marques de lunettes, comprenant Ray-Ban et Oakley ainsi que des licences connues des consommateurs du monde entier. L’entreprise italienne dispose également d’un réseau de distribution, récemment étoffé avec le rachat de la chaîne Salmoiraghi & Vigano, aussi bien dans les marchés développés qu’émergents, accompagné de plateformes e-commerce s’adressant à la nouvelle génération de consommateurs. Dernièrement, le lunetier a également fait irruption sur le marché des verres ophtalmiques avec la conception de produits gravés pour la collection Ray-Ban.

Luxottica en chiffres :

  • 79 000 salariés
  • 12 usines
  • 7 400 magasins
  • 8,8 milliards d’euros de CA en 2015

Et si des discussions avaient déjà été entamées avec le verrier français en 2014, elles avaient alors échouées. Aujourd'hui, « les conditions nécessaires à la réalisation de cette alliance sont réunies », commente Leonardo Del Vecchio, président de Luxottica. Sans doute les difficultés rencontrées dans la recherche d’un successeur, conjuguées à la disparition de plusieurs grands dirigeants italiens dont le patron de Ferrero en 2015 et celui de la chaîne de distribution Esselunga en 2016, ont-elles poussé le milliardaire de 81 ans à trouver les conditions d’une sortie alors que depuis 2014 il était revenu aux commandes.

Des synergies significatives attendues pour préparer l’avenir

Leonardo Del Vecchio devient alors PDG d’EssilorLuxottica. De son côté, Hubert Sagnières, actuel PDG d’Essilor, a reporté son départ en retrait prévu pour 2017 et prend la place de vice-PDG délégué tout en disposant des mêmes pouvoirs. Les deux hommes conservent également leurs fonctions respectives, actuellement occupées.

Cette opération est avant tout une façon de préparer l’avenir pour les deux groupes avec une capacité d’investissements importante dans les nouvelles technologies (impression 3D, lunettes connectées, biotechnologies...) et la maîtrise du développement par le biais de nouvelles acquisitions. Sur le marché européen, la prochaine cible pourrait être la chaîne allemande Fielmann, dont le dirigeant est âgé de 77 ans. En outre, sur la base d’estimations préliminaires, les économies attendues sont évaluées entre 400 millions et 600 millions d’euros, ce qui représente 2,66% du CA global que pourrait générer la nouvelle entité  (200-300 millions de revenus nets, 150-200 millions d’optimisation de la chaîne d'approvisionnement et 70-100 millions de frais d’achats, administratifs et généraux). Une nouvelle bien reçue par les investisseurs, les deux titres étant à la hausse depuis l'ouverture de la Bourse ce matin. Aussi, le rapprochement n’aura pas d’incidence sur l’emploi.

Et si des synergies significatives sont attendues, il n’est pas question d’aller trop vite ! La phase transitoire d’une holding contrôlant les deux sociétés durera 4 ans. « Nous ne sommes pas dans un projet industriel avec des usines qu’il faudrait rationaliser, rassure Hubert Sagnières. Nous avons deux entreprises aux activités complémentaires, l’une fait des verres, l’autre des montures ». Ce projet de croissance  pourrait notamment amener à améliorer la qualité des produits et des services fournis dans le monde entier. Ainsi, un opticien pourrait obtenir ses verres et ses montures en 24h au lieu de 8 jours, « un vrai avantage concurrentiel », ou se voir proposer des offres packagées.

S’il ne devrait pas y avoir de grand changement dans les 3 ans à venir, ce big bang pourrait pousser d’autres acteurs du secteur à se rapprocher face à un géant capable d’imposer ses conditions. Depuis l’annonce faite ce matin, nous voyons d’ailleurs que l’opération inquiète les opticiens. Rappelons cependant qu’Essilor et Luxottica sont deux groupes vivant de leur collaboration avec les magasins d’optique. Ils n’ont en ce sens aucun intérêt à inonder ou noyer le marché.

Acuité reviendra plus en détails sur les possibles conséquences de cette opération d’ici la fin d’après-midi. En attendant, répondez à notre sondage ci-contre.

 

*Essilor pèse 22,3 milliards d'euros en Bourse quand Luxottica en vaut 24 milliards