Depuis hier, vous êtes nombreux à réagir à l’annonce de fusion entre Essilor et Luxottica, faisant part de votre inquiétude face à la création d’un géant de l’optique capable d’imposer ses conditions au secteur. Quels sont les tenants et aboutissants de cette opération historique ? Que peut-on attendre de la nouvelle entité EssilorLuxottica ? Quelles seront les conséquences pour les opticiens français ? Décryptage...

Essilor – Luxottica : deux entreprises aux profils complémentaires pour n’en faire qu’une

Lors d’un point presse le 16 janvier, Hubert Sagnières, PDG d’Essilor, et Leonardo Del Vecchio, président exécutif de Luxottica, ont tenu à rassurer : la fusion entre les deux mastodontes n’est pas un projet industriel avec des usines à rationaliser, entraînant notamment des licenciements. Les entreprises, présentes sur les marchés développés aussi bien qu’émergents, sont complémentaires sur tous les points. Pour mémoire, Essilor est elle-même née du rapprochement entre deux sociétés concurrentes, Essel et Silor, pendant de nombreuses années.

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Pour les deux géants de l’optique, la prochaine étape est donc de réussir cette fusion, qui devrait être effective au 2d semestre 2017. Mais peu d’inquiétudes de ce côté-là ! L’opération ne devrait pas subir d’échec à l’instar de la fusion Publicis-Omnicom ou des négociations difficiles entre Lafarge et Holcim. Bénéficiant d’une culture similaire, les Hommes sont formatés de la même façon à un esprit foncièrement industriel, vibrants par le produit et les usines.

EssilorLuxottica : un géant européen de 15 milliards d’euros

D’un point de vue organisationnel, Leonardo Del Vecchio devient PDG d’EssilorLuxottica. Le milliardaire italien de 81 ans, qui a repris un rôle opérationnel en 2014, règle ainsi un problème successoral en prenant 31% des parts de la nouvelle entité, via sa holding Delfin. De son côté, Hubert Sagnières, actuel PDG d’Essilor, a reporté son départ en retraite prévu pour 2017 et va occuper le poste de vice-PDG délégué pour gérer l’opérationnel. Ils conservent également leurs fonctions respectives, dans chacune des deux entités.

Le futur groupe pèsera plus de 15 milliards d'euros de chiffre d'affaires (6,7 milliards pour Essilor et 8,8 milliards pour Luxottica en 2015), avec une valorisation boursière frôlant les 50 milliards d'euros. Une belle opération pour l’Europe et la France avec une entreprise mondialement reconnue qui devrait se positionner au 7e rang du Cac 40 !

Les pistes de développement pour le nouveau géant de l’optique

Ce rapprochement est donc l’opportunité de préparer l’avenir pour les deux groupes avec une capacité d’investissements importante dans les nouvelles technologies (impression 3D, lunettes connectées, biotechnologies...), tous ces produits qui pourraient attirer des acteurs extérieurs à notre secteur, comme les Gafa (géants du web : Google, Apple, Facebook, Amazon). D’ailleurs, l’une des priorités sera de mettre au point des lunettes connectées. « On ne peut concevoir un tel produit que si la monture et les verres réfléchissent ensemble », explique Hubert Sagnières. Le groupe mise aussi sur le développement de son offre digitale.

Toutefois, les deux dirigeants sont d’accord : il n’est pas question d’aller trop vite ! L’enjeu prioritaire est de créer une entreprise leader de la santé visuelle. La volonté est avant tout d’équiper dans le monde les personnes qui n’ont pas accès aux lunettes : 2,5 milliards en optique et 5,8 milliards en solaire, soit 7,2 milliards de porteurs potentiels dans le besoin.

Les possibles conséquences pour l’opticien français

Notons d’ailleurs qu’Essilor et Luxottica ont déjà noué de nombreux partenariats commerciaux pour aller dans ce sens, notamment aux USA. Aussi en fonction des marchés, la nouvelle entité pourra proposer des offres packagées. Sur le prix des lunettes, deux théories s’opposent :

  • D’un côté, François Lévêque, professeur d'économie à Mines ParisTech, estime qu'elles seront moins chères pour le consommateur. Selon un théorème économique de 1838, « il a été énoncé et démontré (...) que, si deux leaders consécutifs fusionnent, le profit sera plus grand, mais le prix du bien final sera plus bas et non pas plus haut ! Ce résultat contre-intuitif se comprend mieux si vous songez que les leaders successifs appliquent chacun une marge et qu'une fois fusionnés, une seule marge subsiste. La fusion met donc fin à un phénomène de double marginalisation », explique l’économiste.
  • A contrario, certains médias prédisent que cette opération pourrait rendre le marché français plus opaque et onéreux. « Pour nombre d'observateurs, la méga fusion freinerait une concurrence naissante, et tuerait dans l'œuf les tentatives de certains pour rendre le marché de l'optique plus transparent », écrit BFM TV en faisant référence aux opticiens alternatifs à l'instar de Lunettes Pour Tous.

Dans l’opérationnel, ce rapprochement peut aussi amener à améliorer la qualité des produits et des services fournis dans le monde entier. Mais rien ne changera fondamentalement dans l’activité ! L’entreprise réalisant la quasi-totalité de son chiffre d’affaires avec les opticiens, n’a aucun intérêt à détruire le marché mais, plutôt à le tirer vers le haut.

Il lui faudra alors trouver le savant dosage entre innovation et proposition de nouvelles offres commerciales, tout en prenant en considération la gestion de son réseau de distribution (7 400 points de vente et des chaînes de distribution comme LensCrafters et Sunglass Hut) et le développement de la valeur ajoutée des magasins de ses clients.