À l'automne 2022, un sondage Acuite vous posait la question suivante : « Seriez-vous prêts à vous passer des verres de présentation pour des raisons environnementales ? »

  • Vous avez été 1200 à répondre. Un résultat important qui montre que ce sujet vous intéresse.
  • 66% d'entre vous sont prêts à s'en passer...

 

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Le résultat est à la fois surprenant et encourageant, mais témoigne aussi de l’existence d’un fossé important entre l’intention et la réalité.

Et c’est dans ce fossé que disparaissent nos déchets : en considérant qu'il y a 15 millions de montures ophtalmiques qui arrivent sur le marché français chaque année, et sans prendre en compte les secondes paires et les stocks, avec une moyenne de 4 grammes par calibre, il y aurait environ 120 tonnes de calibres de présentations qui arrivent sur le marché français chaque année.

Et après avoir recueilli le témoignage de plusieurs acteurs majeurs de la filière*, pas plus de 15% seraient recyclés. La majorité rejoint les incinérateurs ou sont enfouis. Comparé à la consommation d'énergies et de matières nécessaires au processus de fabrication de ces "verres", c’est une bien maigre « valorisation » (consulter la pièce jointe pour plus de détails). 

 

Une matière noble qui ne vaut rien


L’avantage des verres de présentation, c’est qu’ils sont homogènes chimiquement. Ils sont en polyméthacrylate de méthyle (PMMA), souvent appelé verre acrylique.

Le PMMA est un polymère qui a été synthétisé la 1ère fois il y a 1 siècle, il a des propriétés optiques exceptionnelles (transmission lumineuse supérieure à celle du verre jusque dans le proche UV, transparence, limpidité, brillance), beaucoup utilisé dans les lentilles de contacts rigides, il bénéficie d’une excellente résistance aux agents atmosphériques, non toxique même en combustion, il est aussi très léger. Le PMMA représente un petit marché spécialisé, la production mondiale est de l’ordre de 1,4 Mt/an, dont 320 Kt en Europe.

 

La marque la plus connue est Plexiglas. L'un des leaders mondiaux de PMMA est Arkema, une entreprise pétrochimique française présente dans le monde entier, à l'initiative de la signature en 2016 avec le gouvernement de la création du projet Reverplast, qui ne verra jamais le jour, une entreprise chargée de collecter et recycler le PMMA, un plastique utilisé dans le bâtiment (30%); les enseignes lumineuses et la signalétique (22%) ; l’automobile (20%) ; l’électronique, l’aéronautique et divers (28%). Les calibres de présentation se situent dans ces "divers". Malgré la simplicité apparente du produit, il nécessite plusieurs étapes complexes de procédés chimiques.

 

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Voie de synthèse du PMMA. @BLK



Si la plupart des témoignages récoltés parlent d’une production d'origine majoritairement chinoise, rares sont les opticiens et les enseignes qui savent comment et par qui sont produits les calibres de présentation. Probablement pour une raison simple : financièrement, l’objet ne vaut rien. C’est une variable d’ajustement économique insignifiante. On n'y consacre donc pas plus de temps de réflexion que sa valeur marchande l'exige.

 

Il faut compter quelques centimes par monture pour l’équiper de verres de présentation. Leur utilisation commerciale est très courte, et potentiellement dispensable, comme en témoignent plusieurs magasins. En revanche, comme vous allez le voir, créer une filière de recyclage relève du défi.

 

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Une collecte en ordre dispersé


Lorsqu’une paire de lunettes ophtalmique est achetée, les calibres sont retirés de leur monture et peuvent connaître plusieurs destins :

  • Dans la poubelle « normale » : ils seront enfouis ou incinérés.
  • Dans la poubelle jaune : ils seront enfouis ou incinérés.
  • Dans un récipient dédié à la collecte : ils seront envoyés à un acteur qui pourra peut-être les transformer et les revendre sous une autre forme pour qu’ils soient réutilisés pour d’autres usages.  

« C’est une question qui revient souvent de la part de nos opticiens : que deviennent les calibres ? », raconte Sylvain Pierson, responsable RSE et stratégie marketing chez Krys. « Sur nos MDD, les calibres sont biodégradables**. De manière générale, nous collectons les anciennes montures et les calibres des autres marques qui sont envoyés chez Terracycle, pour être transformés. Nous sommes sensibles à ces questions et ouverts à un meilleur système de prise en charge, aussi local que possible ».

Le directeur général d’Optic 2000, Benoît Jaubert, est enthousiaste sur ce sujet : « Depuis 2015, nous recyclons les verres de présentation : aujourd’hui, les 3/4 de nos opticiens, environ 900, y participent. Les calibres sont collectés 2 fois par an, et nous les expédions à l’entreprise de recyclage Reviplast. Cela représente près de 10 tonnes par an. Ils sont transformés en granulés puis transformés en différents objets. Le plus important est d’assurer un débouché à ces déchets ».

 

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Frederic Beausoleil, directeur artistique d’Acuitis, dresse un autre bilan. « Il y a quelques dizaines d’années, il n’y avait pas de calibres de présentation », rappelle-t-il. « Ils sont arrivés quand la lunette est devenue autre chose qu’une prothèse, quand le monde de la mode, du luxe, des marques a mis en place une industrialisation de la monture. C’est un élément plastique à usage unique pervers. Chez Acuitis nous recyclons nos calibres de présentation, et nous pourrions envisager de nous en passer puisque nous ne vendons pas d’autres collections que les nôtres : or le principal usage des calibres est d’y imprimer l’identité d’une marque ».

Arthur Havis, directeur général d’Ecouter Voir, regrette l’absence d’esprit d’équipe de la filière sur les questions environnementales : « Les calibres de présentation sont de petits produits légers. Seule une généralisation de la collecte peut amener à constituer des volumes suffisants pour la création d’un modèle économique de recyclage. Les enjeux environnementaux devraient dépasser les clivages et montrer que la communauté des opticiens peut prendre les choses en main et être exemplaire ».

 

Satoshi Otsuki, PDG de Charmant Europe, reconnait volontiers que « c’est un casse tête pour tous les acteurs. Chez Charmant, nous avions travaillé un temps avec un fournisseur japonais qui nous a proposé des calibres de démonstration à base de maïs. C'était bio, mais les calibres avaient un aspect jauni qui les rendaient inexploitables. Eastmann, entreprise internationale spécialisée dans la démolécularisation des matières, a une solution pour recycler les calibres quels que soient leurs défauts : mais le coût est beaucoup trop élevé pour être envisagé. C'est une histoire de chimie qui nécessiterait une uniformisation mondiale et, dans un premier temps, un effort de collecte généralisé ».  

Collecter, c'est précisément l’objectif de RecyclOptics, l’association lancée par Carole Riehl, opticienne très investie dans les aspects environnementaux de la filière.

« L’idéal serait de pouvoir se passer des calibres de démonstration, mais les habitudes sont coriaces et le passage à l’acte difficile. En attendant que le chemin se fasse, il est urgent de mettre les déchets en commun et créer une filière viable pour les prendre en charge. Pour cela, RecyclOptics propose un environnement neutre et collaboratif pour créer des groupes de travail sur le sujet, tant qu’un organisme dédié ne voit pas le jour, tant que les syndicats ne s’y intéressent pas, et tant que les plus gros fabricants ne s’emparent pas du sujet. S’ils le faisaient, les autres suivraient ».

 

« Le problème ce n’est pas le plastique, c’est l’usage unique »


Reviplast est une entreprise de recyclage française spécialisée dans le traitement des plastiques. La société, créée en 2008, comptait 3 employés et traitait 300 tonnes par an. Aujourd’hui, 25 personnes y travaillent et transforment 6 000 tonnes de plastiques par an. Le PMMA ne représente qu’1% de l’activité, dont une partie est constituée de verres de présentation.

« Quand j’ai créé mon entreprise, les matériaux recyclés avaient mauvaise presse, considérés comme moins performants », explique Thierry Dufourcq, fondateur et directeur général de Reviplast. « Aujourd’hui c’est l’inverse. Il faut savoir que dans à peu près tous les produits qui nous entourent, il y a une partie de la matière qui est d’origine recyclée. Personne ne peut affirmer quel en est le pourcentage exact, bien que certains prétendent le savoir. Dans l’univers des plastiques, le PMMA est une matière noble, qu'on recycle en le réduisant en granulés puis en plaques qui serviront à créer des objets à haute valeur ajoutée***.  Le PMMA est complètement recyclable. Encore faut-il qu’il soit collecté et recyclé. Selon moi le problème ce n’est pas le plastique, c’est l’usage unique ».

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Le contenu d'un carton rempli de verres de présentation au centre de recyclage. @Reviplast

 

« Et bien qu’il soit recyclable, c’est un produit qui vit, qui va comporter des impuretés et des défauts lorsqu’on le reçoit. Les anti-reflets et les encres empêchent de les recycler en nouveaux verres de présentation, parce qu'extrudés ils ne sont pas d'aussi bonne qualité qu'avec la matière première et perdent de leur transparence. Nous transformons tout de même ces calibres en plaques de PMMA que nous vendons à des clients qui n’ont rien à voir avec la filière optique ophtalmique*** ».

 

C’est là qu’on perd la trace des verres de présentation. Ils sont redevenus des plaques de polyméthacrylate de méthyle. Tous les acteurs sollicités étaient d’accord sur plusieurs points, notamment celui-ci : sans une démarche commune intraprofessionnelle qui dépasse les positionnements des uns et des autres sur le marché économique, aucune initiative satisfaisante ne verra le jour pour résoudre cette problématique. Et on ne parle ici que de l’enjeu environnemental des calibres de présentation, pas de celui des emballages, des déchets issus du meulage, de la production des verres ophtalmiques, des montures...les filières de la santé ont encore de nombreux diagnostics environnementaux à dresser avant d'avoir une idée des traitements à administrer.

 

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*Nous avons sollicité également les enseignes Afflelou et Atol pour qu'ils donnent leur point de vue sur ce sujet mais ils n'ont pas donné suite. 

**Biodégradable implique qu'un produit soit exposé à certaines températures et hygrométries précises pendant une durée donnée, favorisant l'apparition de micro-organismes décomponsant la matière en CO2, méthane, eau.

***Le PMMA a de nombreuses utilisations :
- des enseignes, bandeaux lumineux, panneaux signalétiques et publicitaires
- verrières d'avions légers, planeurs, ULM

- PLV, présentoir, gravure, ameublement, agencement de magasin, décoration

- des plaques transparentes qui séparent le caissier de supermarché du client, fréquentes depuis le Covid

- accessoires de sécurité, notamment militaire
- balle de contact

- prothèse dentaire

- pièces industrielles diverses

- implant en ophtalmologie (dont les lentilles de contact)
- membranes pour hémodialyseurs
- fibres optiques…