L’article démarre ainsi :  « Trouvez-vous que vous payez trop cher pour vos lunettes ? » En France, l'opinion populaire suggère que les opticiens sont trop chers, et certains pensent que le gouvernement devrait intervenir pour réglementer les prix. Mais avant d'essayer de réparer quelque chose qui n'est pas cassé, voyons ce que les mythes ont à voir avec les réalités.

Le secteur de l’optique en France est caractérisé par une forte intensité concurrentielle à tous les niveaux de la chaîne de valeur, des verres aux remboursements des frais optiques. Cette forte rivalité produit les effets habituels que l’on est en droit d’attendre de ce type de structure de marché. En effet, on observe un niveau d’innovation élevé au niveau des verres, un niveau de différenciation et de variété élevé au niveau des montures, un fort niveau de rivalité prix au niveau de la distribution et une grande variété de contrats possibles au niveau de la couverture. Côté demande, les Français sont très largement équipés en verres progressifs, comparé au reste de l’Europe et au monde Anglo-saxon où on trouve encore beaucoup de verres à double foyer et la France est un pays où le reste à charge est un des plus faible d’Europe. De surcroit, la prise en charge des lunettes est totale, via la CMU, pour un certain nombre de concitoyens auquel se rajoute le dispositif d’aide à la Mutuelle. En bref, l’optique est une belle réussite française, tant au niveau de l’offre qu’au niveau de la demande et de la prise en charge des maladies de l’œil.

Pourtant, ces réalités semblent complétement ignorées et occultées par nos concitoyens, ce qui n’est pas étonnant, lorsque l’on considère les attaques dont le secteur fait l’objet. En effet, il est dénigré par certaines administrations comme la Cour des Comptes, par les politiques comme l’illustre l’absurde décret d’encadrement des remboursements optiques et par certaines associations de consommateurs. Ces trois catégories d’acteurs transmettent l’opinion selon laquelle les opticiens vendraient à des prix anormalement élevés et réaliseraient des profits élevés ainsi que les producteurs de verres et de montures tirant avantage de mutuelles généreuses et produisant un effet d’exclusion sur les plus pauvres pour l’accès aux soins optiques.

D’autre part, il est juste de dire qu’une bonne partie de la mauvaise opinion que les Français peuvent avoir du secteur vient du secteur lui-même. En effet, la forte rivalité horizontale et verticale entre certains acteurs se traduit aussi par une communication extrêmement agressive. Ainsi, les campagnes de communication des opticiens low cost  et des opticiens en ligne passent systématiquement par la dénonciation des lunettes trop chères … chez leurs concurrents bien sûr. De même, pour réussir à substituer au dispositif optique de dernières générations des dispositifs moins couteux, référencés dans le cadre de leur plate-forme de soins, les mutuelles communiquent sur les prix excessifs hors plate-forme.

Malheureusement, la situation n’est pas simplement celle d’un secteur performant mais mal perçu par le grand public du fait de différentes opérations de communication des uns et des autres. Le passage à l’acte du gouvernement avec le décret d’encadrement va perturber le fonctionnement du secteur, à savoir des firmes concernées ainsi que de leurs travailleurs, mais aussi la prise en charge en France des amétropes, alors même que cette intervention s’appuie sur un certain nombre de postulats erronés :

  • Le premier est qu’Essilor aurait un fort pouvoir de marché et la capacité d’éliminer des distributeurs low cost en aval. Ce postulat ne tient pas au vu de la réalité de la part de marché de la marque Essilor et du nombre de ses concurrents allant de multinationales allemandes et japonaises aux PME françaises en passant par des nouveaux entrants chinois et indiens.
  • Le deuxième postulat est la spirale d’augmentation de prix et les marges élevées des opticiens. Ce postulat ne tient pas lorsqu’on observe que l’on trouve des lunettes dès 10€, que le prix des lunettes augmente moins vite que l’inflation, et que le bénéfice net des opticiens est entre 5,9% et 6,4% en moyenne.
  • Le troisième postulat est que les clients paient un prix élevé à cause de l’asymétrie d’information existant avec l’opticien qui en profite pour vendre des dispositifs couteux et inutilement sophistiqués. Les Français sont exigeants en matière de traitement de leurs affections optiques et soucieux de porter des lunettes qui leur plaisent. C’est cet état des préférences qui amènent les mutuelles à rivaliser sur la bonne prise en charge, les fabricants de montures à rivaliser sur le design et les verriers à fortement investir en recherche et non l’inverse. Préférer des progressives à des double-foyers n’est pas une question d’asymétrie mais de préférence.
  • Le dernier postulat est que ce serait précisément la bonne prise en charge des remboursements par les complémentaires santé qui créerait une irresponsabilité des consommateurs, exploitée par les opticiens. En réalité la majorité des clients compare les offres entre opticiens et un grand nombre achète hors réseaux de soins et assume un reste à charge élevé, y compris des citoyens modestes et éligibles à la CMU. Le fait est que le bien « lunettes » est un bien pour lequel la grande majorité des Français est exigeante, désire avoir un produit de qualité et est prête à payer un prix élevé. En quoi est-il irresponsable de vouloir porter une jolie monture et des verres de dernière génération plutôt que consacrer son argent à un autre achat ?

Plutôt que de perturber la dynamique d’un secteur qui fonctionne globalement bien, avec un encadrement non seulement inutile mais en plus mal calibré et qui va probablement augmenter le reste à charge payé par les français, le gouvernement ferait mieux de jouer son rôle et de lutter contre la fraude qui existe dans le secteur de la part de certains opticiens indélicats comme l’optimisation de factures.

 

Artcile sur le site de l'Essec