Nous sommes tous concernés par les écrans du matin au soir, parfois même la nuit. Pas moyen de les éviter que ce soit au travail, à la maison et jusque dans la rue. Leur utilisation cristallise plusieurs enjeux de santé et de société (perturbation du sommeil, relations sociales dégradées, développement de la myopie…), si bien que le sujet de l’exposition aux écrans chez l’enfant a récemment fait l’objet d’une proposition de loi en France.

À l’occasion des vingt-troisièmes journées de réflexions ophtalmologiques (JRO) qui se sont déroulées du 9 au 11 mars à Paris, la professeure d’ophtalmologie Dominique Bremond-Gignac*, a présenté un exposé intitulé « Impact des écrans, le vrai, le faux, les solutions » dans lequel elle aborde la myopie de l’enfant, les déséquilibres oculomoteurs et la toxicité de la lumière bleue.

« La première chose, c’est le temps passé sur les écrans » relève Dominique Bremond-Gignac qui pointe du doigt un risque accru dû aux nouvelles technologies. « Personne ne s’en rend vraiment compte car c’est devenu notre quotidien. Mais entre les smartphones, les ordinateurs et les autres écrans de la vie quotidienne, on constate une évolution de plus de 50% de temps passé sur les écrans en l’espace de 10 ans. La moyenne pour un enfant âgé de 8 à 10 ans s’élève à 3,8 heures par jour, c’est inquiétant ».

La professeure souligne que le lien entre développement de la myopie partout dans le monde et utilisation des écrans quotidiennement, jusque dans les écoles, ne peut être ignorée. « On assiste à une pandémie mondiale de myopie. À Singapour, plus de 90% des jeunes hommes sont myopes par exemple. Selon l’OMS, jusqu’à 5 milliards de personnes pourraient être touchées d’ici 2050, avec près d’1 milliard de myopes forts. Vous voyez les conséquences que ça peut représenter car il ne faut pas seulement prendre en compte la vision floue mais aussi les complications que cela peut entrainer ».

Les écrans 3D déconseillés aux enfants

Dominique Bremond-Gignac met ensuite en avant deux études de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) sur les problèmes provoqués par les écrans 3D et par la toxicité photochimique du système d’éclairage LED.

« L’étude sur les 3D stéréoscopiques, à laquelle j’ai participé, montre qu’il y a bien un effet sanitaire. Les écrans 3D écrans découplent l’accommodation de convergence. Il peut y avoir des symptômes variés (céphalées, œil rouge, fatigue oculaire, etc). Certains symptômes visuels peuvent sembler transitoires mais une étude montre qu’il y a chez l’adulte 30% d’anomalies oculomotrices qui sont plus ou moins symptomatiques. Les gens n'ont pas forcément conscience de ces anomalies et quand ces personnes vont se trouver devant un écran 3D, cela va les déclencher », explique-t-elle. Des recommandations pour les plus jeunes ont été émises par plusieurs acteurs de santé et même certains industriels. Nintendo, le constructeur japonais de consoles de jeux, déconseille d’exposer les enfants de 6 ans ou moins à sa console portable 3D par exemple.

Les verres anti-lumière bleue comme solution pour les enfants ?

En ce qui concerne le système d’éclairage LED des écrans (caractérisé par sa forte proportion de lumière bleue), l’étude de l’Anses démontre que l’œil est soumis à un stress oxydant qui fait craindre un vieillissement prématuré de l’œil pour les jeunes générations, exposées plus tôt et plus longtemps. La lumière bleue induit également une perturbation de l’horloge biologique, une réduction du clignement (sécheresse de l’œil) et certaines pathologies : kératite, ptérygion, cataracte, dégénérescence rétinienne…

« Les études sanitaires sur les systèmes d’éclairage LED montrent qu’il y a des risques de luminance. L’enfant a un cristallin extrêmement transparent et on sait que jusqu’à l’âge de 8 ans, il laisse passer tous les ultraviolets. Autrement dit, tous les spectres de lumière jusqu’aux ultraviolets y compris » indique Dominique Bremond-Gignac.

« Là où ça devient plus compliqué, c’est qu’il y a une étude sur la lumière violette comme solution pour empêcher l’évolution de la myopie. Mais comment faire pour couper le bleu mais garder le violet ? Aujourd’hui c’est complexe. Pour ma part je ne préconise pas les verres anti-bleu pour les enfants. D’une part, lorsque vous filtrez le bleu, vous filtrez tout ce qui va derrière. D’autre part, les verres ne sont pas coupés de la même façon selon les verriers. On ne peut pas dire je coupe de 480 à 470 par exemple. On ne maîtrise pas. Certains adultes vont se sentir confortables mais je pense que ce n’est pas une bonne technique pour les enfants ».

Quelles solutions ?

« Pour conclure, la sécheresse oculaire c’est vrai, la myopie de l’enfant c’est vrai, le déséquilibre oculomoteur c’est vrai, la toxicité de la lumière bleu c’est vrai», conclut la professeure d’ophtalmologie. Elle conseille :

  • plus de prévention de la part des professionnels auprès des parents
  • au moins 2h par jour passées à l’extérieur pour les enfants
  • des thérapies oculaires (larmes artificielles, etc)
  • l’utilisation de lumières non directes
  • une alimentation riche en antioxydants.

 

*Dominique Bremond-Gignac est chef de service d'Ophtalmologie de l'Hôpital Universitaire Necker enfants malades à Paris depuis 2015