A plusieurs reprises ces dernières années, le sujet a été évoqué. L'idée de transférer la gestion de l’optique des mains de l’Assurance Maladie à celles des Ocam a fait l'objet d'articles lors de plusieurs PLFSS, dont le dernier en date (2025). Ce projet, s'il peut sembler incongru, fait son chemin dans la tête de plusieurs acteurs, et suscite de vives inquiétudes, notamment chez certains professionnels de notre secteur.

Un équilibre fragile remis en question

Actuellement, la prise en charge financière des lunettes repose sur un équilibre à deux piliers : l’Assurance Maladie et les complémentaires santé. La première joue le rôle de régulateur — elle définit les règles, contrôle les pratiques, conventionne les professionnels, et ne s'engage que marginalement dans la prise en charge financière des équipements optiques — tandis que les complémentaires assurent 66% de la part des dépenses en optique, et 97% de la part de remboursement (selon la Drees). Ce modèle dual permet une forme de régulation équilibrée, à la fois pilotée et encadrée, une répartition des rôles et des pouvoirs.

 

repartition_du_financement_conso_optique_2023.png

La faible participation de l'Assurance maladie à la prise en charge financière de l'optique ophtalmique ne doit pas masquer son rôle crucial de régulateur

 

Le transfert complet aux Ocam, comme suggéré dans plusieurs des derniers PLFSS, les rendrait à la fois régulatrices et payeuses, un mélange des genres jugé dangereux par certains acteurs comme Didier Cohen, administrateur du Rof pour le groupe Afflelou, qui nous a contacté : « Quand le régulateur est aussi le payeur, il régule pour moins payer », prévient-il. « Le risque de dérives est réel : réduction des soins, sélection des patients, dérégulation déguisée sous couvert d'efficacité ».

La fin des conventions avec la Cnam ?

Un autre effet collatéral majeur pourrait être la disparition des conventions entre les opticiens et la Cnam. Or, ces conventions permettent aujourd'hui à l’Assurance Maladie de sanctionner les pratiques frauduleuses (déconventionnement, suspension de remboursements) et assurer son rôle de régulateur. La Cnam est également toujours à l'origine des plaintes au pénal lors d'affaires de fraudes.

La Caisse a le rôle précieux de définir les critères des droits et devoirs d'un opticien à travers la convention, un pacte qui lie le professionnel au système de santé. « Si la Cnam se retire, qui jouera ce rôle de régulateur ? » se demande Didier Cohen. « Les Ocam, en tant qu’acteurs privés, n’ont pas l’indépendance juridique pour assumer cette responsabilité ».

La perte de lien avec la Cnam pourrait à terme remettre en question le statut des opticiens comme professionnels de santé. Leur rôle dans la délivrance de dispositifs médicaux est légitimé par leur rattachement à un cadre sanitaire public. Sans cela, l’optique pourrait glisser vers une marchandisation complète.

Le spectre de la dérégulation et de la marchandisation

En allant plus loin, il existe un scénario où les soins deviendraient personnalisés selon des critères comportementaux : réduction de cotisation si l’assuré perd du poids, arrête de fumer, monte sur une balance connectée à intervalle régulier, voire selon sa prévalence pathologique et les facteurs héréditaires. « C’est la fin de l’universalité », s’alarme Didier Cohen. « En d’autres termes, on passerait d’un système solidaire à un système assurantiel à la carte, où chacun paie selon son profil de risque ».

Une telle logique transformerait en profondeur notre conception des soins. La santé ne serait plus un droit garanti, mais un service modulable selon des critères commerciaux.

Une vigilance nécessaire

Bien que marginaux pour l’instant et toujours finalement rejetés, ces articles des PLFSS sont révélateurs d’un courant de pensée, présent notamment au sein de la direction de la Cnam. Déléguer aux Ocam permettrait de transférer une grande partie de la responsabilité morale et financière hors du champ public.

Mais à quel prix ? Pour beaucoup, il est essentiel de maintenir une séparation entre financement et régulation. C’est le prix d’un système transparent, impartial et équitable.

Un appel à la responsabilité collective

La filière optique elle-même a un rôle à jouer : renforcer ses bonnes pratiques, limiter les fraudes, se montrer exemplaire pour éviter que la tentation du désengagement public ne se transforme en réalité. Car la liberté d'exercer dans un cadre souple repose aussi sur la confiance des institutions.