A plusieurs reprises ces dernières années, le sujet a été évoqué. L'idée de transférer la gestion de l’optique des mains de l’Assurance Maladie à celles des Ocam a fait l'objet d'articles lors de plusieurs PLFSS, dont le dernier en date (2025). Ce projet, s'il peut sembler incongru, fait son chemin dans la tête de plusieurs acteurs, et suscite de vives inquiétudes, notamment chez certains professionnels de notre secteur.
Un équilibre fragile remis en question
Actuellement, la prise en charge financière des lunettes repose sur un équilibre à deux piliers : l’Assurance Maladie et les complémentaires santé. La première joue le rôle de régulateur — elle définit les règles, contrôle les pratiques, conventionne les professionnels, et ne s'engage que marginalement dans la prise en charge financière des équipements optiques — tandis que les complémentaires assurent 66% de la part des dépenses en optique, et 97% de la part de remboursement (selon la Drees). Ce modèle dual permet une forme de régulation équilibrée, à la fois pilotée et encadrée, une répartition des rôles et des pouvoirs.
La faible participation de l'Assurance maladie à la prise en charge financière de l'optique ophtalmique ne doit pas masquer son rôle crucial de régulateur
Le transfert complet aux Ocam, comme suggéré dans plusieurs des derniers PLFSS, les rendrait à la fois régulatrices et payeuses, un mélange des genres jugé dangereux par certains acteurs comme Didier Cohen, administrateur du Rof pour le groupe Afflelou, qui nous a contacté : « Quand le régulateur est aussi le payeur, il régule pour moins payer », prévient-il. « Le risque de dérives est réel : réduction des soins, sélection des patients, dérégulation déguisée sous couvert d'efficacité ».
La fin des conventions avec la Cnam ?
Un autre effet collatéral majeur pourrait être la disparition des conventions entre les opticiens et la Cnam. Or, ces conventions permettent aujourd'hui à l’Assurance Maladie de sanctionner les pratiques frauduleuses (déconventionnement, suspension de remboursements) et assurer son rôle de régulateur. La Cnam est également toujours à l'origine des plaintes au pénal lors d'affaires de fraudes.
La Caisse a le rôle précieux de définir les critères des droits et devoirs d'un opticien à travers la convention, un pacte qui lie le professionnel au système de santé. « Si la Cnam se retire, qui jouera ce rôle de régulateur ? » se demande Didier Cohen. « Les Ocam, en tant qu’acteurs privés, n’ont pas l’indépendance juridique pour assumer cette responsabilité ».
La perte de lien avec la Cnam pourrait à terme remettre en question le statut des opticiens comme professionnels de santé. Leur rôle dans la délivrance de dispositifs médicaux est légitimé par leur rattachement à un cadre sanitaire public. Sans cela, l’optique pourrait glisser vers une marchandisation complète.
Le spectre de la dérégulation et de la marchandisation
En allant plus loin, il existe un scénario où les soins deviendraient personnalisés selon des critères comportementaux : réduction de cotisation si l’assuré perd du poids, arrête de fumer, monte sur une balance connectée à intervalle régulier, voire selon sa prévalence pathologique et les facteurs héréditaires. « C’est la fin de l’universalité », s’alarme Didier Cohen. « En d’autres termes, on passerait d’un système solidaire à un système assurantiel à la carte, où chacun paie selon son profil de risque ».
Une telle logique transformerait en profondeur notre conception des soins. La santé ne serait plus un droit garanti, mais un service modulable selon des critères commerciaux.
Une vigilance nécessaire
Bien que marginaux pour l’instant et toujours finalement rejetés, ces articles des PLFSS sont révélateurs d’un courant de pensée, présent notamment au sein de la direction de la Cnam. Déléguer aux Ocam permettrait de transférer une grande partie de la responsabilité morale et financière hors du champ public.
Mais à quel prix ? Pour beaucoup, il est essentiel de maintenir une séparation entre financement et régulation. C’est le prix d’un système transparent, impartial et équitable.
Un appel à la responsabilité collective
La filière optique elle-même a un rôle à jouer : renforcer ses bonnes pratiques, limiter les fraudes, se montrer exemplaire pour éviter que la tentation du désengagement public ne se transforme en réalité. Car la liberté d'exercer dans un cadre souple repose aussi sur la confiance des institutions.
Triste constat de voir que notre Etat se désengage de plus en plus du seul rôle qu'il a pourtant à assurer parce qu'il n'arrive tout simplement pas à gérer et réguler le pays en faisant les bons choix. Mais bon quand on file les ministères à ses amis politiques plutôt qu'à des gens compétents, et qu'on laisse le pays être gouverné par des gens qui ne connaissent rien aux réalités du terrain ça peut difficilement finir autrement. Triste pour notre profession, notre milieu mais aussi la société toute entière.
Alors voilà, après avoir timidement proposé de gérer l’optique à la place de la Sécu, les Ocam (ces grands défenseurs du patient... enfin, surtout de leur marge) rêvent maintenant d’être à la fois juges et parties. Payeurs et régulateurs ? Mais quelle belle idée ! On imagine déjà le prochain slogan : « Moins on rembourse, mieux on régule ».
Et tant qu’à faire, pourquoi ne pas repousser les remboursements à 3 ans, 5 ans, ou carrément à la retraite ? Plus de lunettes pour les enfants avant le collège, ça les endurcit. Et pour les seniors ? Disons qu’à partir d’un certain âge, c’est plus rentable d’offrir une canne blanche qu’une paire de verres progressifs.
Évidemment, ces petits tours de passe-passe permettraient de justifier des hausses de cotisations... sans augmenter les remboursements, faut pas rêver. On appelle ça le progrès en langage assurantiel.
Mais ce n’est pas tout. Pendant qu’on y est, pourquoi garder des opticiens diplômés dans les magasins ? Il suffit d’un nom sur la vitrine et hop ! Place à Kevin, 22 ans, ancien vendeur chez Darty, qui vous expliquera que la myopie, "c’est quand on voit flou, genre un peu comme quand t’as bu mais tout le temps". Vision floue, oui, mais surtout pour l’avenir de la filière.
Et si demain on confiait aussi les chirurgies cardiaques aux mutuelles ? Avec un pacemaker en kit, trois tutos YouTube et un stagiaire motivé, on est bons non ?
Bref, les Ocam ne veulent pas seulement nous voir, ils veulent nous faire voir flou — à condition qu’on paie pour ça. Et tout ça avec la bénédiction d’un État de plus en plus tenté de déléguer sa mission de service public à des comptables privés. Prochaine étape ? Le remboursement émotionnel : si vous êtes déçus, on vous offre un câlin. Non remboursable, bien sûr.