Le système de santé fait face à une déformation de la prise en charge des patients en ophtalmologie, avec des conséquences sur les dépenses et la qualité des soins. C'est ce que révèle le rapport Charges et Produits de la Cnam, publié il y a quelques jours. Il sera soumis au vote du Conseil de la Cnam le 3 juillet 2025.
Croissance des dépenses et transfert vers les centres de santé
Les dépenses en ophtalmologie et orthoptie augmentent de manière structurelle pour répondre aux besoins croissants de soins.
- En 2023, 21,4 millions de patients ont été pris en charge, contre 18 millions en 2013.
- La prise en charge des patients se déplace significativement au profit des centres ophtalmologiques. En 2023, 15 % des patients (3,2 millions) ont été traités dans ces centres, contre seulement 2 % (0,4 million) en 2013.
- Le nombre de patients pris en charge en centre progresse beaucoup plus vite (+25,32 % par an en moyenne entre 2014 et 2023) que dans les cabinets libéraux (+0,45 % sur la même période), les centres absorbant près de 85 % de l'augmentation globale des besoins en soins ophtalmologiques.
Coûts plus élevés dans les centres et optimisation financière
- Le coût moyen d'une séance a augmenté de 3,07 % entre 2014 et 2023, principalement sous l'impulsion des centres.
- Le coût moyen par patient en 2023 était de 91 € dans les centres, contre 72 € dans les cabinets libéraux. De même, le coût moyen par séance était de 67 € en centre contre 51 € en libéral.
Ces chiffres suggèrent une forme d'optimisation financière dans les centres, se manifestant par des volumes d'actes réalisés et des cotations pratiquées supérieurs pour des prises en charge similaires.
France Assos Santé a souligné que certains centres dentaires et ophtalmologiques "low cost", avec des montages juridiques complexes combinant statut associatif et entreprises commerciales, ont mené à des pratiques préjudiciables comme la fraude, la surfacturation, une mauvaise qualité des soins, des erreurs médicales et des défauts d'hygiène.
Fraudes et déconventionnements
- En 2024, l'Assurance Maladie a détecté 39 millions d'euros de fraudes dans les centres de santé, entraînant le déconventionnement de 30 centres (contre 21 en 2023).
- La situation actuelle appelle à une clarification du statut de "centre de santé", qui regroupe diverses entités (multi-professionnelles, optiques, dentaires, publiques, associatives et privées) afin de permettre une régulation plus ciblée.
- La Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2022 a déjà commencé à encadrer les centres de santé, notamment en revenant sur le principe de conventionnement d'office.
- La loi du 19 mai 2023 ("Khattabi") a rétabli un agrément préalable par les agences régionales de santé (ARS) pour l'ouverture des centres de santé dentaires, ophtalmologiques et orthoptiques. Ce dossier d'agrément doit inclure le projet de santé, les déclarations des liens et conflits d'intérêts des dirigeants, et les contrats avec des sociétés tierces.
L'ARS peut refuser ou retirer l'agrément si le projet de santé ne respecte pas les objectifs de conformité ou en cas de manquement compromettant la qualité ou la sécurité des soins.
Propositions de la Cnam
Bien qu'il n'y ait pas de propositions spécifiques numérotées uniquement pour l'ophtalmologie, les sources indiquent des actions générales visant à réguler le secteur des centres de santé et à lutter contre les pratiques d'optimisation financière :
- Clarifier le statut des centres de santé : cela permettra une régulation plus ciblée des différentes entités.
- Renforcer la surveillance et le contrôle des pratiques : l'Assurance Maladie souligne la nécessité d'une surveillance plus étroite des secteurs où des pratiques d'optimisation financière peuvent nuire à l'accès et à la qualité des soins.
- Renforcer les conditions de conventionnement des structures personnes morales : l'Assurance Maladie souhaite introduire dans les conventions nationales des conditions complémentaires de vérification pour les structures avec personnalité morale (comme les centres de santé), incluant la présence de locaux d'accueil, de personnel diplômé, et la cohérence entre le projet de santé et le personnel disponible. Cela permettrait aux CPAM de refuser le conventionnement de structures ne présentant pas des garanties suffisantes de prise en charge ou de respect des règles de facturation.
