Le 18 septembre dernier, la Commission européenne a lancé une procédure d'infraction à l'encontre de la France pour "entraves à la vente en ligne de produits d'optique-lunetterie" (voir news en relation). En l'absence d'une "réponse satisfaisante" dans un délai de deux mois, la Commission menace de saisir la Cour de justice des communautés européennes. Voilà pour les faits. Mais quelle est leur portée ? Explication de texte avec David Melison, juriste au Forum des droits sur l'Internet, qui s'est prononcé dans un rapport en faveur du maintien de l'interdiction de la vente de produits optiques sur Internet (voir news en relation).

Acuité. Que signifie cette procédure d'infraction ?

David Melison. Il y a deux aspects distincts dans cette procédure. Les entraves mentionnées par la Commission sont d'une part, l'interdiction de la vente en ligne par un opticien diplômé, et d'autre part, l'obligation pour tout opérateur de faire enregistrer son diplôme au niveau départemental. C'est-à-dire que pour la Commission européenne, il doit être possible de vendre en ligne et de le faire depuis l'étranger. Cette formalité de déclaration préalable constitue une entrave au libre établissement dans l'Union européenne. Ce point pourrait être rapidement modifié car il s'inscrit dans le cadre de la libéralisation des services - ou directive Bolkestein - que la France doit adopter d'ici au 31 décembre 2009. Avec l'interdiction proprement dite de vente en ligne, nous sommes dans le vif du sujet.

A quelles suites faut-il s'attendre ?

On peut s'attendre à une réaction de l'Etat. Ce qui ne signifie pas que la France va libéraliser la vente en ligne sous la pression de la Commission européenne. Par ailleurs, deux ministères sont concernés par cette affaire, le ministère de l'Economie et son homologue de la Santé. Lequel tranchera ? Lors du tour de table organisé par le Forum des droits sur l'Internet, le ministère de l'Economie semblait moins ferme sur l'interdiction. L'affaire donnera sans doute lieu à un arbitrage au plus haut niveau.

Que risque la France si rien ne bouge ?

L'avis motivé envoyé par la Commission à la France est la dernière étape avant un recours en manquement devant la Cour de justice des communautés européennes. Si celle-ci estime que la France viole les textes européens, elle pourra la condamner à modifier sa législation, éventuellement sous astreinte. La procédure peut prendre plusieurs années.

Que dit le droit européen en matière de vente en ligne ?

La Commission invoque la liberté du commerce dans la société de l'information pour justifier l'avis adressé à la France. La procédure de la Commission est surprenante, car elle va à l'encontre de la position de la Cour de justice européenne dans le secteur des médicaments. En 2003, la Cour a distingué médicaments soumis à prescription et non soumis à prescription. Les États peuvent interdire la vente en ligne des premiers mais doivent autoriser celle des seconds. Par analogie, les produits optiques étant soumis à prescription, les États devraient avoir la possibilité d'en interdire la commercialisation en ligne. Tout dépend du Code de la santé de chaque pays membre. Dans certains pays, les produits optiques ne sont pas "soumis à prescription" ; ils sont par conséquent commercialisés sur Internet. Ce n'est pas le cas en France. Voilà un premier argument à faire valoir pour le maintien de l'interdiction.

D'autres arguments militent-ils pour l'interdiction ?

Oui. Les sites actuels ne remplissent pas le minimum de garanties. La transmission de la prescription est inexistante. Et les sites renvoient la prise de mesure vers le consommateur. Or, en matière de lunettes - c'est moins vrai me semble-t-il pour les lentilles, une adaptation sera toujours nécessaire. Il s'agit là d'un autre argument en faveur d'un statu quo.