Acuité : Que pensez-vous de cette proposition d’interdire la publicité pour les lunettes ?
Thibaud Thaëron, président de l'association des optométristes de France : « Je trouve que ce n’est pas le sujet prioritaire. Si on regarde ce que coûte vraiment l’optique pour l’Assurance maladie, c’est très marginal : moins de 5 % de prise en charge. Pour autant, sur les 8 milliards TTC que pèse le marché de l'optique en France, l'Etat récupère 20% de TVA, soit 1,6 milliards d'euros. Pourquoi l'Assurance maladie voudrait-elle affaiblir ce marché ? La proposition vient peut-être surtout des complémentaires santé, qui reçoivent de plus en plus de charges transférées et cherchent des leviers pour réduire leurs coûts. Il y a un rapprochement entre l’Assurance maladie et les complémentaires, qui va aller encore plus loin avec des partenariats et des partages de données. Peut-être que l’idée est : « On vous transfère des charges, mais en échange, vous baissez les dépenses. » C’est une sorte de compromis politique. Tout en gardant à l'esprit que les mutuelles ont les reins solides financièrement, contrairement à l'Assurance maladie. » 

AC : La publicité est-elle réellement un problème ?
TT : « Tout dépend de ce qu’on appelle "publicité". Est-ce un SMS rappelant qu’on peut renouveler ses lunettes ? Une affiche en vitrine ? Rien n’est précisé. C’est toute l’ambiguïté : qu’est-ce qu’on veut interdire exactement ? Certains estiment que la publicité pousse à la surconsommation, mais c’est discutable. Beaucoup de patients savent qu’ils peuvent renouveler leurs lunettes tous les deux ans, c’est inscrit dans les règles. On peut trouver ces relances excessives, mais est-ce que cela crée une consommation inutile ? Je n’en suis pas sûr. Et puis, il faut rappeler qu’on parle d’un défaut visuel, pas d’une pathologie grave.

D’un point de vue économique, si les ventes baissent, ce sont aussi les fabricants français qui seront touchés. Les verriers, les producteurs de montures : tout l’écosystème souffrirait. Si on frappe les opticiens, c’est toute la chaîne qui est impactée. »

AC : Selon vous, cette mesure est-elle crédible ?
TT : « On n’a aucune étude d’impact. On ne sait pas combien la publicité coûte, ni ce que son interdiction ferait économiser. Tout repose sur des hypothèses. On balance l’idée que la pub est nuisible, sans chiffres ni scénario précis. C’est un peu du bricolage. On est la seule profession à qui on impose de nouvelles contraintes sans proposer de nouvelles prérogatives. On attend toujours la réforme du BTS-OL qui avait été promise lors du 100% Santé. Et surtout, concernant cette interdiction de la publicité, quel est l'intérêt pour le patient et le consommateur ? »

AC : Quelles seraient, selon vous, les priorités ?
TT : « Renforcer la régulation de la publicité n’est pas un tabou pour nous. Mais si l’objectif est de rogner sur la dimension commerciale de notre métier, il faut en contrepartie renforcer son versant médical. Nous souhaitons développer davantage le rôle de l’opticien dans le dépistage visuel, revaloriser le diplôme au niveau licence, et permettre aux professionnels bien formés de mieux s’intégrer dans les parcours de soins. Aujourd’hui, il serait plus pertinent de clarifier ce qu’est une publicité acceptable et de faire respecter les règles existantes, plutôt que de tout interdire en bloc. Il ne faut pas pénaliser les professionnels sérieux, qui représentent la grande majorité du secteur et qui travaillent avec rigueur au service des patients. »