Opticien jurassien depuis 30 ans, propriétaire de 2 magasins à Lons-Le-Saunier et à Champagnole (39), formateur et administrateur Santé Visuelle chez Atol les Opticiens, Ted Carret rejoint aujourd'hui le réseau basse vision de Fonda, structure dédiée à la formation, à l'information et au matériel de basse vision et qui regroupe 80 établissements en Europe. Ted Carret, également fondateur de l’association Faire Ça Voir, devient donc le premier centre Vision Fragile en France. Il propose un accompagnement de basse vision en magasin autour d’un protocole d’essais, d’aides techniques et d’un mot d’ordre fondamental : informer les patients.
15 % de la population a une faible acuité visuelle
« Pour l'OMS, on est malvoyant à partir de 3/10e d'acuité », rappelle Ted Carret, que nous avons contacté. « Effectivement, à 3 dixièmes, on ne voit plus grand-chose, c'est handicapant. Mais avant d'arriver à 3 dixièmes, il y a souvent beaucoup d'étapes gênantes. On perd d'abord progressivement la capacité de lire, et de voir correctement le visage de ses proches. La conduite d'une voiture, par exemple, est autorisée jusqu'à 5 dixièmes d'acuité, selon le Code de la route. Pourtant, le tableau de bord, à 5/10e, va être difficile à déchiffrer. Dans toutes ces situations, notre rôle d'opticien est d'abord de redonner confiance à ces clients, et de leur fournir les conseils et équipements adaptés ».
D'après les études de Fonda, qui corroborent l'expérience en magasin, « environ 15 % de la population » se situe dans cette tranche et se heurte à des difficultés concrètes quotidiennes sans toujours l’exprimer, ni obtenir l'information et la prise en charge adéquates.
Un manque d'information et de formation
L'information autour des solutions en matière de basse vision fait profondément défaut aux acteurs de la santé visuelle. Comme le rappelle Ted Carret, la mission des opticiens, leur raison d'être, est d'améliorer l'acuité visuelle de nos concitoyens.
Encore faut-il être formé à la basse vision. Ce n'est pas le diplôme d'opticien-lunetier, le BTS-OL, qui en délivre les clefs. Ce sont des licences, et des formations complémentaires (par exemple le DPC propose la basse vision comme orientation, ainsi que d'autres formations proposées par les enseignes, centrales d'achat, universités).
Cette méconnaissance irrigue toute la filière : de l'ophtalmologiste jusqu'au patient, en passant par les opticiens. Résultat : « des personnes à 6/10e d'acuité visuelle, qui disent ne pas être "bien avec leurs lunettes", qui repartent des consultations et des magasins d'optique sans solution, faute d’avoir été orientées vers des dispositifs et des professionnels de santé adaptés ».
Des solutions pour chaque patient
Il existe des solutions pour chacun, ou presque. Tout dépend de la pathologie, qu'il s'agisse d'un glaucome, d'une DMLA ou d'une rétinite pigmentaire, l'approche n'est pas la même. Il n'empêche : il est possible, par exemple, d'améliorer facilement la vision de près avec des verres grossissants, correction intégrée et système éclairant embarqué : « la première règle visuelle, c’est la lumière ». Pour la DMLA, on peut équiper des verres qui redirigent l'image centrale vers la partie de la rétine qui fonctionne encore. Des liseuses, des applications grossissantes ou couplées à l'IA, des éclairages appropriés...il existe tout un tas de solution pratiques, souvent peu onéreuses au regard du service rendu.
Le tout s’inscrit dans un protocole d’essais structuré réalisé en rendez-vous dédiés. « Sur cinq rendez-vous la semaine dernière, trois personnes à 2/10e sont remontées à 8/10e en vision de près : entre ne plus lire le journal et le relire, l’émotion en magasin est palpable. »

Les 6 collaboratrices et collaborateurs du magasin Atol de Lons Le Saunier
« Informer, pas vendre » : un positionnement assumé
L’opticien insiste : « Je dis aux gens : je ne veux rien vous vendre. Je vais vous informer de ce qui existe. » L’équipement vient ensuite « si ça convient ». La conséquence économique suit « naturellement » : relation fidélisée, bouche-à-oreille, moindre dépendance aux mécaniques promotionnelles. Côté frein perçu, le prix n’est pas le premier obstacle : « On reste sur des budgets lunettes, des solutions lunettes et lumière. Notre association peut aider, au besoin. Le vrai frein, c’est le manque d’information. »
Chaînage avec le médical : complémentarité, pas concurrence
Pourquoi l’information circule-t-elle si mal ? « Les ophtalmologistes sont formés pour soigner et sauver. Face à une DMLA que personne ne sait guérir, la dimension technique d’aide à la lecture n’est pas toujours dans le champ des prescripteurs. À nous d’aller vers eux, de montrer qu’on soulage leurs patients », plaide Ted Carret.
Un angle mort de la formation initiale
« La malvoyance est toujours absente du programme de BTS OL. » Ted Carret forme aujourd’hui des opticiens et observe chez les jeunes titulaires de licences de basse vision « un vrai sens retrouvé au métier, malgré l’appréhension initiale ». Message aux pairs : « Beaucoup se sentent frustrés face à un client à 5/10e d'acuité, que même la meilleure paire de lunettes ne peut pas “rattraper” l’organe visuel. Arrêtons d’être frustrés de ne pas pouvoir aider nos clients, formons-nous, informons et agissons. »
Outillage, vitrine, formation continue
Au-delà des appareillages disponibles en magasin, Ted Carret décrit un cadre partenarial qui apporte : vitrines et signalétique dédiées, formation continue, panel de services fournisseurs et méthodologie d’évaluation. L’objectif n’est pas de créer une chasse gardée, insiste-t-il, mais d’entraîner la profession : « J’aimerais que d’autres enseignes suivent : cela montrerait aux complémentaires que nous ne sommes pas que des marchands de lunettes. »
Pour la pratique en magasin
- Avant tout, demander à être formé à la basse vision.
- Dépister en routine la gêne fonctionnelle entre 3 et 7/10e, même si la réfraction “est bonne”.
- Dédier du temps aux rendez-vous avec des essais, formaliser un protocole et un compte-rendu : gains lisibles (lecture retrouvée, tailles de caractères, distances), axes de progression, limites.
- Tisser le lien avec les ophtalmologistes et associations locales ; documenter les cas réussis pour faciliter l’orientation.
- Encore une fois, former l’équipe (licences, modules internes) et identifier un référent basse vision en magasin.
