francois_pelen.jpgDans une récente tribune, le Dr. Jean-Bernard Rottier a attiré notre attention sur l’émergence de l’Intelligence Artificielle (IA) au sein de la filière visuelle. En tant qu’opérateur dans le domaine de l’ophtalmologie au sein du Groupe Point Vision, le Dr. François Pelen estime que ce bouleversement sera, en premier, favorable à nos patients et à la qualité des soins visuels, ce qui est le plus important.

Pour lui, « plus l’imagerie est de qualité, plus les diagnostics sont précis et les décisions thérapeutiques efficaces. Que va apporter l’IA concrètement ?

L’analyse du fond d’œil va pouvoir être facilitée avec des machines capables de nous apporter la qualité numérique sans dilater forcément les pupilles, avec un grand angle et une analyse informatisée de la rétine, de la papille, de la macula et des tissus adjacents grâce à des logiciels incluant des algorithmes permettant une aide au diagnostic

La réfraction subjective pourra également être facilitée par des algorithmes et des technologies nouvelles comme le front d’onde, ce qui facilitera la prescription de lunettes et de lentilles »

Pour autant, l’intelligence artificielle ne pourra pas se passer de l’intelligence humaine, selon le Dr. Pelen. « Les avancées technologiques remettent en cause les organisations et cela va se produire, mais la place du médecin ophtalmologiste, de l’orthoptiste et de l’opticien sera toujours prépondérante au sein de la filière de soins visuels.

L’arrivée de machines de plus en plus performantes doit permettre de travailler différemment au sein d’une profession : la réfraction objective automatisée, la prise de tension oculaire par air pulsé, le rétinographe non mydriatique et l’OCT (qui intègre déjà de l’IA) ont bouleversé la pratique médicale des ophtalmologistes et permis de créer des centres très protocolisés (protocoles organisationnels) associant le travail des médecins et de leurs salariés, aptes à prendre en charge plus de patients dans les règles de l’art », nous a-t-il confié.

« La poursuite de l’automatisation avec la réfraction subjective automatisée et la lecture assistée du FO sont la suite logique de ce mouvement grâce à l’IA. Et pourtant, il faudra toujours un médecin pour valider ce qui est proposé par la machine, car cette machine, cette IA sont certes des prouesses de la statistique, mais avec une marge d’erreur prédéterminée, tout à fait acceptable en terme de moyenne de population, mais sûrement pas de façon individuelle : une machine qui détecte ou ne détecte pas avec 0,1% d’erreur, par exemple, une tumeur, sera jugée très utile en terme de santé publique, au niveau d’une population ; elle sera beaucoup moins appréciée quand vous serez la millième personne pour laquelle la machine se sera trompée ! Pareil pour le glaucome et bien d’autres pathologies.

La seule solution est qu’un médecin, qui prend en compte l’intégralité du bilan, le résultats de toutes un tas de machines, chacune ayant une marge d’erreur (ce qui accroit de façon additionnelle le risque d’erreur global du bilan automatisé), valide les résultats de l’ensemble des machines, élimine les faux positifs et les faux négatifs de chacune (l’œil de l’homme raisonne différemment de la machine), fasse son diagnostic grâce à ses années d’études et son expérience professionnelle et prenne les bonnes décisions thérapeutiques éventuellement nécessaires », affirme le Dr. Pelen.

Et de continuer : « Si la machine va faciliter le travail du médecin, améliorer la qualité de son diagnostic, la présence de ce médecin va rester indispensable. De plus c’est lui et pas un fabricant de machine ou un éditeur de logiciel qui va assurer la responsabilité médicale, sans parler de la question du secret médical : envisage-t-on une autre personne que médecin traiter d’une maladie grave avec le patient, va-t-on stocker les données médicales ultra-sensibles hors du cabinet du médecin ? »

Après ces constats, il appelle à « repenser toute la chaine de la filière pour s’adapter au progrès technologique et mettre fin à cette gangrène des délais de rendez-vous des ophtalmologistes, comme nous le verrons encore dans une enquête à paraitre. La télémédecine va tout bouleverser : l’ophtalmologiste n’a plus besoin de voir physiquement, dans un « colloque singulier », tous les patients. On peut parfaitement imaginer que les machines se trouvent dans le cabinet d’un orthoptiste ou chez un opticien, que le bilan soit transmis au médecin qui valide, donne la suite appropriée et conserve le dossier médical : ces schémas novateurs doivent être discutés dès à présent de façon coordonnée par les trois professions qui doivent se parler pour inventer le parcours de soin visuel des années à venir ».

Tout comme le Dr. Jean-Bernard Rottier, il confirme que « rien ne sera plus comme avant, mais chaque profession gardera toute sa place, y compris dans le simple bilan de la vue, l’ophtalmologiste continuera à assumer sa responsabilité médicale en coordination permanente et fortement renforcée avec les opticiens et les orthoptistes. Pour que cela se passe au mieux dans l’intérêt de nos patients, il faut que tous décideurs et parties-prenantes facilitent ce mouvement : politiques, administrations, Ordres, syndicats professionnels et payeurs. Un chantier de titan ! »