L’Autorité de la concurrence a infligé une amende de 4,665 millions d’euros à Doctolib pour avoir abusé de sa position dominante sur les marchés français de la prise de rendez-vous médicaux en ligne et de la téléconsultation. Cette décision fait suite à une plainte déposée par Cegedim Santé et à une opération de visite et saisie menée en 2021.
L’Autorité reproche à Doctolib d’avoir mis en œuvre deux types de pratiques anticoncurrentielles : des clauses d’exclusivité imposées à ses abonnés, et une acquisition prédatrice de son principal concurrent, MonDocteur, racheté en 2018.
Des clauses d’exclusivité jugées illégales
Jusqu’en septembre 2023, les contrats proposés par Doctolib aux professionnels de santé contenaient des clauses interdisant ou décourageant l’usage simultané d’autres plateformes concurrentes. Ces clauses, qualifiées d’« illégales » par la propre direction juridique de l’entreprise, permettaient à Doctolib de suspendre ou résilier un contrat si un praticien utilisait un autre service.
L’Autorité souligne que ces pratiques ont eu pour effet de limiter le choix des professionnels de santé et de freiner le développement des plateformes concurrentes, notamment de plus petite taille. Par ailleurs, pour accéder à son service de téléconsultation lancé en 2019, les praticiens devaient obligatoirement souscrire à Doctolib Patient, liant ainsi les deux prestations.
Ces pratiques, considérées comme une stratégie globale de verrouillage du marché, valent à l’entreprise une sanction de 4,615 millions d’euros.
Une acquisition jugée anticoncurrentielle
Le gendarme de la concurrence s’est également penché sur le rachat de MonDocteur, opéré en juillet 2018. Bien que l’opération n’ait pas franchi les seuils de notification habituels, l’Autorité a examiné cette acquisition à la lumière de la jurisprudence Towercast (CJUE, mars 2023).
Les éléments internes saisis montrent que Doctolib visait explicitement à « faire disparaître son concurrent n°1 », afin de réduire la pression sur les prix et de renforcer sa domination. L’intégration de MonDocteur aurait permis à Doctolib de gagner 10 000 professionnels de santé et d’augmenter sensiblement ses parts de marché, dépassant parfois 90 % sur le segment des rendez-vous médicaux en ligne.
C’est la première fois que l’Autorité sanctionne une entreprise pour une acquisition prédatrice en application directe de cette jurisprudence. Compte tenu du contexte juridique antérieur à Towercast, la sanction reste symbolique : 50 000 euros.
Une domination consolidée par la crise sanitaire
Créé en 2013, Doctolib s’est imposé comme acteur central de la e-santé en France. Son poids s’est encore renforcé durant la pandémie, lorsque l’État lui a confié la gestion des rendez-vous de vaccination. Ses parts de marché dépassent aujourd’hui largement celles de ses concurrents, Maiia et KelDoc, sur les deux marchés concernés.
L’Autorité rappelle toutefois que la puissance d’innovation ou la qualité des services proposés ne justifient pas des pratiques restreignant la concurrence. Elle ordonne enfin à Doctolib de publier un résumé de la décision dans l’édition papier et sur le site du Quotidien du Médecin.
Cette décision marque un tournant majeur dans la régulation du secteur de la e-santé : pour la première fois, une plateforme dominante est sanctionnée non seulement pour des pratiques d’exclusivité, mais aussi pour une acquisition jugée anticoncurrentielle, illustrant la volonté de l’Autorité de renforcer la surveillance des acteurs numériques en santé.
Doctolib a annoncé faire appel de cette décision : leur communiqué ici.
