Acuité : Quelle est la position de la Fédération nationale des opticiens de France sur cette proposition, même si elle est encore optionnelle, de supprimer la publicité sur les lunettes ?
Hugues Verdier-Davioud, président de la Fnof : La Fédération se réjouit que la Cnam ait repris une proposition que nous portons depuis de nombreuses années. Nous l’avions d’ailleurs présentée lors de la dernière Commission Paritaire.

AC : Pourquoi défendez-vous cette idée ?
HVD : Parce qu’à un moment où tout le monde est appelé à faire des efforts au niveau national, il n’est pas normal que certains commerces profitent de la solidarité collective pour soutenir leur chiffre d’affaires.
Les équipements optiques sont en partie financés par cette solidarité. Or, la publicité a pour objectif d’inciter à l’achat, donc d’encourager indirectement l’utilisation de fonds publics.

AC : Vous considérez que la publicité est contraire à la déontologie ?
HVD : Oui. Aujourd’hui, la loi interdit à un professionnel de santé de faire de la publicité sur ses compétences, comme les examens de vue. Pourtant, elle est contournée par des sociétés commerciales qui ne sont pas des professionnels de santé et qui communiquent massivement. Ce n’est pas honnête et ce n’est pas déontologique.
Si on veut vraiment clarifier les choses, il faudrait interdire la publicité sur tous les dispositifs médicaux.

AC : Certains avancent que la publicité favorise la concurrence. Vous n’êtes pas d’accord ?
HVD : Non, cet argument ne tient pas. Aujourd’hui, toutes les enseignes proposent exactement les mêmes offres commerciales : la deuxième paire gratuite, l’examen de vue offert, etc. Il n’y a aucune mise en concurrence réelle via la publicité.
En réalité, cela fait longtemps qu’il n’y a plus de concurrence directe entre opticiens. Les réseaux de soins ont pris le dessus : les clients sont orientés par leur complémentaire santé vers un opticien précis, souvent sans comparer.

AC : Vous regrettez cette situation ?
HVD : Évidemment. Nous avons toujours défendu le libre choix du praticien. Mais aujourd’hui, le contexte économique et les contraintes budgétaires font que les Français cherchent avant tout le moindre reste à charge. C’est compréhensible, mais ça réduit le choix réel.
La véritable concurrence se joue entre réseaux de soins et complémentaires, pas entre les opticiens.

AC : Pour vous, la publicité a un coût qui pèse sur le consommateur ?
HVD : Exactement. Quelqu’un doit payer ces campagnes. Au final, ce sont les clients, via le prix des équipements.
À l’heure où l’État veut redonner du pouvoir d’achat, c’est un non-sens de continuer à financer cette communication qui n’apporte rien au patient.

AC : Est-ce que la publicité incite vraiment les gens à renouveler leurs lunettes inutilement ?
HVD : Oui, clairement. Vous recevez des SMS qui vous rappellent que vous pouvez changer vos lunettes gratuitement car la période de renouvellement arrive. Même si vous n’en ressentez pas le besoin, vous êtes invité à le faire. C’est une incitation à la dépense qui n’est pas justifiée médicalement.

AC : Pourtant, la CNAM n’a pas chiffré l’impact économique de cette interdiction…
HVD : En effet, on ne sait pas combien coûte la publicité en optique, ni quel serait l’impact de sa suppression.
Essayez de trouver le budget communication des enseignes, c’est quasiment impossible. Pourtant, si on rapportait ce budget aux 16 millions d’équipements vendus chaque année, on verrait que cela représente un coût considérable payé par les consommateurs.

AC : Certains diront que l’interdiction fragiliserait les enseignes…
HVD : C’est probable. Mais l’État demande depuis des années que les enseignes s’autorégulent, ce qu’elles refusent. Il y a donc un moment où il faut que les pouvoirs publics interviennent.
Aujourd’hui, on voit bien que le modèle économique de l’optique est construit sur la multiplication des magasins et la pression commerciale. C’est un système qui pousse à ouvrir toujours plus de points de vente sur un marché qui n’augmente pas en volume, ce qui crée une instabilité économique.