Avec une part de marché en baisse de 10,5% et un parc de magasins réduit (-36 points de vente) en 2016*, la conjoncture actuelle complique l’activité des opticiens indépendants. Une tendance qui n’est pas prête de s’arranger pour Éric Plat, PDG de la coopérative Atol. Interview...

Acuité : Quelles sont les principales faiblesses des opticiens indépendants face au marché actuel ?

Éric Plat : Les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis 2 ans, le chiffre d’affaires des opticiens indépendants est en chute malgré un nombre de points de vente important (6 310 à fin 2016, ndlr) et alors que le marché reste globalement positif. En parallèle, la mobilité des consommateurs est plus forte en période de crise et 20% des Français changent d’adresse chaque année, selon La Poste. Quand un client déménage pour un autre quartier ou une autre ville, il perd souvent la proximité qu’il avait avec son opticien. Dans sa nouvelle géographie, iln’a plus de relation de confiance et se rapproche de valeurs sûres et de choses qu'il connaît déjà, comme les enseignes nationales.

A. : C’est donc un problème de communication et d’image...

E.P. : Le professionnalisme de base qui consiste à faire une bonne paire de lunettes pour son client ne suffit plus, tout le monde en est capable ! Il faut autre chose pour se différencier de la concurrence que ce soit en termes de services, de produits à haute valeur ajoutée ou de notoriété d'image grâce à laquelle le client connaît déjà le magasin. Un opticien indépendant qui voudrait faire la même chose qu’Atol (essayage à réalité augmentée, personnalisation et collection propre, site Internet...) devrait investir des centaines de milliers d’euros. Ce n’est donc pas à sa portée.

A. : Est-ce la fin des opticiens indépendants ?

E.P. : Aujourd’hui, il n’y a plus de place pour l’indépendance molle des opticiens car la mutation du commerce et les attentes des consommateurs ne pourront plus être assouvies par les magasins traditionnels dans les années à venir. Seuls les points de vente spécialisés dans le luxe ou avec un positionnement particulier résisteront. Le reste du marché sera coincé entre la montée du low cost et les grandes enseignes.

A. : Quelle est la solution, selon vous ?

E.P. : L’indépendance dans l’interdépendance, grâce à une coopérative comme Atol ! La mutualisation des faibles moyens de chacun aboutit à une force pour tous. Face aux grands enjeux de la multicanalité et de la digitalisation du parcours de vente, les investissements pour aller chercher de nouveaux clients deviennent extrêmement couteux et impossibles à faire seul. Chez Atol, nos adhérents se consacrent à la santé et les autres parties prenantes de leur métier sont gérées par la force du collectif, toujours dans l’objectif de répondre aux vœux des consommateurs.

Nous avons des exemples d’opticiens qui ont quitté la coopérative il y a 10 ans pour devenir indépendants mais ils ont divisé par 2 leur chiffre d’affaires. Aujourd’hui, ils reviennent vers nous.

A. : Vous êtes aussi président de la Fédération du Commerce Associé (FCA). Observez-vous ce phénomène dans d’autres secteurs ?

E.P. : C’est déjà ce qu’il s’est passé dans la chaussure ou le prêt-à-porter. Les épiceries de quartier, qui vivaient hier sans enseigne, se sont aussi transformées en Franprix ou Monoprix. En matière de santé, les pharmaciens adhèrent progressivement à des réseaux et des coopératives. Ils se regroupent pour mieux acheter et mieux communiquer ensemble. On peut aussi prendre l’exemple des agences de voyage et de l’immobilier, majoritairement sous enseignes.

A. : Quelle est votre vision des années à venir ?

E.P. : Le marché est compliqué actuellement et le sera encore plus pour les acteurs qui n'ont pas pris la bonne décision. Les opticiens indépendants n’ont aucune chance dans ce bouleversement. Il y a deux façons de répondre aux mutations du commerce : rester spectateur ou accompagner le changement en faveur de notre activité. Aujourd'hui, l'enjeu n'est pas tant de bien acheter mais de vendre mieux aux consommateurs et de ne pas être dépendant d'acteurs extérieurs à notre business, comme les réseaux de soins.

A. : Quels sont les objectifs d’Atol ?

E.P. : Maintenir nos 7% de parts de marché et poursuivre notre développement. Mais surtout, nous souhaitons faire d’Atol une vraie marque qui saura s'adapter aux enjeux d'aujourd'hui et qui fera entrer des clients dans les magasins de nos adhérents en toute indépendance grâce à notre forte notoriété d’image et des outils en phase avec les attentes du consommateur. Seul, on avance peut-être plus vite mais en groupe, on va plus loin !

* source Bien Vu – juin 2017