Après la présentation du plan de déconfinement par Édouard Philippe mardi 28 avril, nous avons interrogé les 3 syndicats (Rof, Synom et Fnof).

Quelles recommandations souhaitent-ils formuler aux opticiens qui vont rouvrir le 11 mai ? Quels sont les principaux enjeux de la profession pour les 3 prochains mois ? Quand imaginent-ils un retour à l'activité proche de 2019 ? Quels seront les chantiers principaux ? Voici les 4 questions que nous avons posées. Tour d’horizon.

André Balbi, président du Rassemblement des opticiens de France

André Balbi, président du Rassemblement des opticiens de France (Rof)

« A compter du 11 mai, les opticiens devront mettre en place une nouvelle méthode de travail, qui va nécessiter un apprentissage d’une semaine. Chacun va devoir trouver sa propre organisation. Le guide de préconisations fixe le cap et s’inscrit dans le prolongement des annonces faites par Édouard Philippe.

Redémarrage de l’activité : comment s’organiser ?

Les priorités : adopter les gestes barrière. Le port du masque est fortement recommandé dans toutes les activités du magasin et il va falloir maîtriser la gestion du flux. Ainsi, nous préconisons de favoriser la prise de rendez-vous dans certaines situations et l’appel téléphonique, par exemple, pour le renouvellement des lentilles. Il va falloir limiter le nombre de personnes présentes en même temps à l’intérieur du point de vente.

D’une manière plus globale, le parcours de vente en magasin sera très différent. On va passer d’un système ‘libre d’accès’ à un accompagnement systématique des clients. Ces derniers ne vont plus choisir eux-mêmes leurs montures. Pour résumer, il y aura un avant et un après Covid-19.

Compte tenu de la situation, tous les opticiens ne vont peut-être pas faire revenir leurs équipes à temps plein. Cela dépendra énormément de l’activité. Certains pourraient être amenés à reprendre leurs salariés au fur et à mesure. A ce titre, le chômage partiel a été maintenu jusqu’au 1er juin et devrait être individualisé prochainement.

5 millions d’ordonnances manquantes pendant le confinement

Autre élément à prendre en considération : le manque de consultation durant la période de confinement. On estime à 5 millions le nombre d’ordonnances manquantes dans un système structurellement tendu. Le délai moyen est, quant à lui, de 80,6 jours pour les adultes, selon notre étude.

Fluidifier l’accès aux soins

Dans ce contexte, nous avons fait des propositions avec la Fnof au ministère de la Santé. Il est trop tôt pour en discuter à l’heure actuelle. Mais, l’accès au bien voir des concitoyens, qui n’ont pas pu bénéficier d’un rendez-vous pendant le confinement est un enjeu majeur de la reprise économique des magasins et de l’accès aux soins.

Mesures d’accompagnement financières

Par ailleurs, nous serons vigilants quant aux mesures d’accompagnement du gouvernement afin d’aider les opticiens à retrouver une activité plus comparable à celle de 2019. Celle-ci n’interviendra vraisemblablement pas avant 2021. Ma recommandation : faite attention à votre trésorerie. Concernant le tiers payant, on se rend compte que le système ne peut pas continuer ainsi. Certainement pas dans la situation actuelle. Il va falloir aborder le sujet des délais et des garanties de règlement dans le cadre du tiers payant. Ce n’est plus acceptable !

Dans les prochains mois, nous allons poursuivre nos chantiers en cours : l’accès au tiers payant systématiquement dans le cadre du 100% Santé, les données de santé et la position de la Cnil concernant la transmission des codes LPP et corrections visuelles aux Ocam. »

Véronique Bazillaud, déléguée générale Synom/Synam

Véronique Bazillaud, déléguée générale Synom/Synam

« Je tiens à souligner que, durant cette période de confinement, nous avons travaillé entre syndicats avec une vraie cohésion et une approche globale pour l’ensemble de la filière.

Préparer les magasins pour accueillir les clients en toute sécurité

Le Synom a participé à la rédaction du guide. Nous avons ensuite réalisé un document PowerPoint plus synthétique pour nos magasins Écouter Voir. Avec l’appui du protocole, nous formons nos opticiens et nos audioprothésistes pour qu’ils s’approprient toutes les mesures de sécurité à appliquer dès le 11 mai. Notre priorité : la sécurité des salariés et des clients. A ce titre, nous désinfectons les points de vente, meubles, systèmes de ventilation… En outre, au sein de nos magasins, nous n’allumerons pas la climatisation. La raison ? Elle pourrait aggraver la propagation du virus. Pour l’instant, notre préconisation est de ventiler les points de vente en ouvrant les portes.

Rassurer les clients

Un des enjeux importants dans les mois à venir : rassurer les porteurs. Certains clients risquent d’avoir peur de se déplacer dans des départements à risque. Avant leur visite, nous allons ainsi communiquer via notre site Internet et apposer une affiche sur nos vitrines. Les opticiens, équipés de masques, expliqueront systématiquement les modalités de sécurité mises en place et accompagneront les clients tout au long du parcours de vente. Bien entendu, chaque monture sera désinfectée.

Faire connaître aux clients les possibilités de renouvellement du décret de 2016

Durant cette crise sanitaire, nous avons pris un gros retard dans la délivrance des ordonnances et on estime qu’un retour à une activité normale ne pourra pas intervenir avant la fin de l’année 2020. Il va falloir donc trouver des solutions pour faciliter l’accès aux équipements. Notre proposition : pouvoir communiquer en dehors du magasin auprès des porteurs sur la possibilité de renouveler leurs équipements selon les règles définies par le décret de 2016. Cela permettrait de répondre aux besoins rapidement et de fluidifier les consultations chez l’ophtalmologiste.

2e chantier pour le Synom : la prolongation de la durée de validité des ordonnances actuelles. À plus long terme, nous souhaitons développer la télémédecine entre opticiens et ophtalmologistes. Toutes ces propositions ont été effectuées dans le cadre du rapport Igas dont les conclusions devaient intervenir ce printemps.»

Alain Gerbel, président de la Fédération nationale des opticiens de France (Fnof)

Alain Gerbel, président de la Fédération nationale des opticiens de France

« Le 11 mai, ce n’est pas la fin du confinement, ni de la bataille contre le Covid-19. Nous allons, bien au contraire, entrer dans une nouvelle ère. Il va falloir être très vigilant. Première étape essentielle : établir la prise de rendez-vous en magasin et la manière de recevoir les clients (gestes barrière, distanciation sociale). Ceux qui ne le feront pas seront confrontés à une gestion difficile. Sans compter les achats d’impulsion à gérer telle la vente de solaires. Deuxième priorité : la désinfection des produits. Il faut respecter des règles d’hygiènes strictes.

Comment parvenir à appliquer ces 2 points primordiaux ? En travaillant en effectif réduit sur rendez-vous et en réorganisant complètement son magasin. Les montures et les produits ne peuvent pas être à disposition des porteurs. Chacun doit adapter le guide de préconisations à ses besoins et rester vigilant. Toute la profession est en danger aujourd’hui.

« Pas de retour à la normale avant au moins 1 an »

Nous avons connu les 4 premiers mois les plus difficiles de la profession. Et cette crise n’augure rien de bon pour la suite de l’année : elle ne s’arrêtera pas au 11 mai ni au 1er septembre 2020. J’estime qu’un retour à l’activité proche de 2019 ne fera pas avant au moins 1 an. Deux questions subsistent : à quel rythme les clients reviendront en magasin ? Et comment faire face à la pénurie d’ordonnances ?

Adapter sa stratégie

Dans ces circonstances, les opticiens doivent préparer un plan d’action sur 1 an. Plusieurs leviers sont à considérer : la masse salariale, l’employabilité et une meilleure rentabilité du magasin au niveau des charges. Certaines peuvent être supprimées ou allégées. Autres préconisations : renégocier les conditions d’achats avec les fabricants et mettre en place des outils de gestion avec des chiffres d’affaires très fortement revus à la baisse. En d’autres termes, inventer un nouveau mode de travail.

Quid du tiers payant ?

Dans les modes de gestion, se pose la question de la pratique du tiers payant. Je recommande aux opticiens de le réserver à des cas particuliers tels que le 100% Santé ou des personnes qui en ont réellement besoin. Nous ne pouvons plus pratiquer le tiers payant systématiquement sans avoir de garantie de paiement et supporter la tâche administrative en travaillant en effectif réduit.

Repositionner la filière

Nous sommes à la veille de mettre en place un nouveau modèle économique. Avec un chiffre d’affaires en baisse d’environ -40 à -50% sur l’année 2020, la profession ne peut plus assumer la triple dépendance : complémentaire, enseigne et tiers payant.

Redéploiement de l’opticien

Par ailleurs, dans les prochains mois, les opticiens devront chercher de nouveaux modes de rémunération : examens de vue, contactologie, basse vision, etc. et se déplacer dans les Ehpad quand ce sera possible. Toutes les interventions en cas de dépannage (réparations) qui ne font pas partie de la garantie devront être payantes. Dernier point : élargir le cadre d’exercice de la profession en augmentant les compétences acquises par la formation. »