alain_gerbel.jpgLa Fédération nationale des opticiens de France (Fnof) a clôturé à Lille hier, 12 février, son tour de France visant à partager avec la profession sa récente campagne « Mon opticien, j’y tiens ». A cette occasion, Acuité a souhaité faire le point avec son président, Alain Gerbel. Quelle analyse tire-t-il de la situation actuelle du marché ? Quelles sont ses réactions face aux récentes annonces des complémentaires santé ? Interview...

Acuité : Le nouveau réseau Santéclair est composé à 21% d’opticiens indépendants, soit une progression de 25% par rapport à l’ancienne mouture. Est-ce le signe d’une victoire des Ocam face à une Fnof opposée à leurs projets ?

Alain Gerbel : J’aimerais que Santéclair communique ses chiffres et rende publique l’implantation de son réseau et de ses opticiens. J’aimerais également que la plateforme rende public le nombre d’opticiens qui entre et sort chaque année de ce réseau. Mais pour l’instant, nous sommes dans l’opacité la plus totale. Alors, tant que ses chiffres ne seront pas publics et donc impossibles à contrôler, je ne les commenterai pas.

A. : Comme nous a interpellé l’un de vos adhérents, Jean-Christophe Caujolle, avez-vous le sentiment que les Ocam sont en train de prendre la main sur notre système de santé ?

A.G. : L’optique et le dentaire ont juste servi de prétexte à la mise en place des réseaux, ceux-ci ayant l’ambition de privatiser le système de santé et de constituer des clientèles captives, pour partager le marché entre différentes familles d’Ocam. Par ailleurs, la mise en place d’un contrat complémentaire pour tous vient rebattre les cartes de notre système de santé. On voit aujourd’hui des mutuelles se regrouper avec des sociétés d’assurance pour répondre à ce nouveau marché et donc aller vers le secteur commercial et lucratif, abandonnant ainsi les fondements du mutualisme. Elles s’associent avec des sociétés de capitaux, ce qui est déjà quelque chose de grave en soi. Dans le même temps, ces sociétés de capitaux s’efforcent de prendre le contrôle de la prescription par le tiers payant. Parce qu’il ne faut pas se voiler la face : la généralisation du tiers payant, c’est à terme le contrôle de la prescription. Et quand vous contrôlez la prescription, vous contrôlez le système de santé. Ce qui se passe aujourd’hui c’est une guerre pour savoir qui va contrôler le système de santé. L’objectif est purement financier.

A. : Quelle position entendez-vous adopter pour répondre à cette évolution ?

A.G. : Tous les appels d’offres et tous les contrats ont été portés à la connaissance de la commission européenne. L’analyse est claire : les complémentaires santé n’ont pas le droit de « jouer » avec les données de leurs adhérents comme elles le font. Mais elles essaient de généraliser cette pratique parce que personne ne s’y oppose. Les Ocam savent très bien qu’elles ne pourront pas contrôler la prescription par les réseaux, bien que certains médecins soient déjà en réseau. Alors elles essaient de la contrôler par le tiers payant. Maintenant, comme je vous le disais, la Commission européenne est saisie et tous les stades de la procédure ont été franchis. Nous attendons une décision de procédure contentieuse, qui doit être notifiée à la France pour non respect de la directive sur les transferts de données personnelles. Tous les spécialistes du droit sont d’accord pour dire que la pratique des Ocam est illégale.

Ceci étant dit, je voudrais que tout le monde prenne bien conscience d’une chose : aujourd’hui, l’accès aux soins n’est pas régulé par le prix des prestations optiques, mais par le coût des complémentaires. Et le renoncement aux soins n’est pas dû au prix des soins, mais au prix des complémentaires. Elles sont arrivées à un tel niveau de tarif qu’elles doivent désormais se justifier. Et pour le faire, elles nous expliquent la main sur le cœur, que c’est à cause des dépenses en optique et dentaire que leurs tarifs se sont envolés. J’avoue que je ne comprends pas bien : il n’a échappé à personne, que l’Etat a mis en place la régulation des prestations en optique et dentaire par l’introduction du plafonnement des remboursements. Comment se fait-il, alors, que les complémentaires santé augmentent leurs tarifs de pratiquement 12% en 2015, alors que l’Etat a régulé le système ? Il n’y a plus de raison d’augmenter les cotisations puisque les prix de l’optique sont régulés. Voilà bien la preuve que l’optique n’est pas responsable de l’augmentation des tarifs des Ocam.