Brent Chapman, massothérapeute canadien de 33 ans, a perdu la vue à l'adolescence suite à une réaction rare et particulièrement violente après avoir absorbé de l'ibuprofène. Malgré une cinquantaine de chirurgies oculaires dont 12 greffes de la cornée, il n'a jamais retrouvé une vision durable.

Il a opté pour l'opération de la dernière chance : l'ostéo-odonto-kératoprothèse (OOKP*), qui consiste à implanter une dent dans l'oeil. Une dent augmentée, sans doute la plus précieuse prothèse qu'il est possible de concevoir pour un aveugle : cette dent va accueillir une lentille optique, et cette dent sera greffée au globe oculaire. C'est spécial, et spectaculaire. On vous explique.

 

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Le docteur Greg Moloney, chirurgien ophtalmologiste à l'hôpital Mount Saint Joseph de Vancouver @Providence Health Care

 

La 1ère étape de l'OOKP qui concerne Brent Chapman vient d'être réalisée le 25 février 2025 par le Dr Greg Moloney et ses équipes spécialisées, à l'hôpital Mount Saint Joseph de Vancouver. Brent Chapman fait partie d'un groupe de 3 patients aveugles canadiens qui ont accepté cette opération incroyable, réalisée pour la 1ère fois au Canada. 

À ce jour, le Providence Health Care de Vancouver estime qu'entre 500 à 1000 patients ont subi cette chirurgie dans des cliniques d'une dizaine de pays depuis les années 1970, dont le Royaume-Uni, Singapour, l'Inde, l'Australie, la France, et maintenant, le Canada.

Autant rappeler qu'entre 1970 et 2025, la médecine a fait quelques progrès.

 

Il y a deux étapes à cette opération

  • La première chirurgie, d'une durée d'environ six heures, commence par l'extraction d'une dent du patient (généralement la canine). Elle est ensuite retaillée et une fine lentille optique à focale fixe est insérée à l'intérieur, de façon à traverser la dent.

La dent est ensuite implantée sous la peau de la joue du patient pendant 3 mois pour permettre la croissance de nouveaux tissus.

Les chirurgiens prélèvent également un lambeau de peau à l'intérieur de la joue et le cousent sur l'œil du patient jusqu'à la deuxième chirurgie. Brent Chapman a subit cette 1ère opération le 25 février 2025

 

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L'ostéo-odonto-kératoprothèse, amalgame improbable de l'os et de la dent, à destination de l'oeil pour rétablir une acuité visuelle perdue @Greg Moloney

 

  • Lors de la deuxième chirurgie, environ trois mois plus tard (et durée également d'environ six heures), la dent est retirée de la joue. Elle est ensuite cousue sur le globe oculaire, grâce au tissu qui s'est formé autour de la dent pendant son séjour dans la joue.

Le Dr. Moloney créera un petit trou dans le lambeau de peau pour permettre au patient de voir grâce à la lentille optique qui laisse alors la lumière atteindre la rétine.

 

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L'oeil d'un patient après que la dent ait été intégrée au globe oculaire @Dr. Greg Moloney, Providence Health Care

 

Pourquoi une dent ?

Le Dr Moloney, qui a déjà réalisé 7 opérations de ce type dans son Australie natale, et qui a été débauché en 2021 par l'hôpital Mount Saint Joseph précisément pour ce projet inédit au Canada, explique : « Une dent contient de la dentine, qui est le tissu idéal pour abriter une lentille en plastique sans que le corps la rejetteLe lambeau de peau de la bouche reconnaît la dent qui a été implantée dans la joue. »

Retrouver la vue n'a pas de prix

Une telle opération, si rarement pratiquée, est très coûteuse : elle est même "un fardeau financier sur les épaules" des patients, selon la presse de Vancouver. Un suivi très détaillé du patient pendant de nombreux mois avant, pendant et après les opérations, ainsi que les opérations en elles-mêmes qui mobilisent plusieurs spécialistes en chirurgie ophtalmique dans une société où la santé a un RAC élevé laissent entendre plusieurs dizaines, voire des centaines de milliers d'euros pour une telle opération.

 

Des risques avérés, mais une efficacité prouvée

L'OOKP comporte des risques significatifs. Le principal danger est celui d'une infection pouvant entraîner une perte définitive de la vue. Malgré cela, le taux de succès est élevé, avec 94% des patients ayant "retrouvé la vue" (c'est-à-dire une acuité visuelle de 1 à 7/10), selon une publication scientifique italienne**. Brent Chapman, inspiré également par le témoignage d'une Australienne ayant réussi l'opération après avoir été aveugle pendant 20 ans, si bien réussi qu'elle prétend aujourd'hui pouvoir skier, a décidé de tenter sa chance à son tour.

 

Brent Chapman fait partie d'un programme pilote à Vancouver. Si les résultats sont positifs, le Dr. Moloney espère ouvrir la première clinique OOKP au Canada, ce qui pourrait révolutionner le traitement de la cécité cornéenne en Amérique du Nord.

La vie de Brent Chapman est également sur le point d'être bouleversée. 

Nous vous tiendrons informés dans 3 mois.

 

*L'OOKP a été mise au point en 1963 en Italie par le Dr Benedetto Strampelli, puis reprise et modifiée par le Docteur Giancarlo Falcinelli. Le principe consiste au remplacement prothétique de la cornée (appelé kératoprothèse) chez des patients souffrant d'une cécité d'origine cornéenne et qui ne peuvent être éligibles à une greffe de cornée classique (syndrome sec sévère, brûlures chimiques ou thermiques).

**Publication de 2022 (National Library of Medicine) qui a étudié le cas de 59 patients et 82 yeux ayant subi une OOKP entre 1969 et 2011.

***La dent et son parodonte sont prélevés afin de servir de support biologique appelé « lame ostéo-dentaire » à une optique de synthèse de polymétacrylate de méthyl, constituant ainsi l'OOKP, suturée à la cornée, dont les dimensions finales sont de l'ordre de 8 mm de large par 14-16 mm de long par 2-4 mm d'épaisseur. Cette OOKP, une fois suturée à la cornée, est recouverte d'un lambeau de muqueuse jugale assurant une couverture biologique du dispositif. L'OOKP joue ainsi de rôle de la cornée permettant de conduire l'influx lumineux à la rétine.
Le tissu dentaire et son parodonte sont privilégiés par rapport aux autres tissus durs de l'organisme car ils présentent notamment des propriétés de stabilité sur le long terme indispensables à la survie de la kératoprothèse.
La dent sélectionnée est le plus souvent une canine, car c'est souvent elle qui présente la racine la plus longue et la plus large, nécessaire à l'élaboration de l'OOKP. Cette dent doit être saine, sans traitement canalaire, sans restauration coronaire ni récession gingivale. @Marion Urban, Société Française de Chirurgie Orale (SFCO), 2023.