En cette rentrée, Maher Kassab, PDG et fondateur de Gallileo Business Consulting, nous a accordé une interview. Au cours de cet entretien, il a dressé le bilan de l’activité depuis la reprise et a évoqué les perspectives à moyen terme du marché de l’optique.

Acuité : Quels enseignements tirez-vous depuis la reprise de l’activité ?

Maher Kassab : Le sentiment général de l'ensemble des acteurs de l'optique est positif. Ces derniers ont réalisé durant les mois de mai, juin et juillet de meilleurs résultats par rapport à la même période en 2019. La bonne nouvelle est que les consommateurs sont entrés dans les magasins.

Comment va se positionner l'année 2020 par rapport à l'année 2019 ? Il est beaucoup trop tôt pour le dire. Il y a 2 inconnues : ces consommations sont-elles importantes à cause des reports d'achat ? L'activité sera-t-elle ralentie dans les prochaines semaines notamment à cause d’un manque d’ordonnance ? Aussi, restons prudents.

A. Comment expliquez-vous la bonne dynamique actuelle ?

M. K : Elle est déjà caractéristique du marché de l'optique et plus particulièrement du marché français. Comme vous le savez, ce dernier est constitué de 3 acteurs : l'ophtalmologiste, l'opticien et le consommateur.

Pour le premier acteur, on constate à travers nos différentes études, que les ophtalmologistes ont été opérationnels dès la fin du déconfinement. A notre sens, il n'y aura donc pas de crash des ordonnances, malgré une baisse de la patientèle totale estimée à 18% en juin. Ce chiffre a reculé en juillet.

La raison ? Les praticiens se sont mobilisés en augmentant leurs horaires d'ouverture et en prenant moins de vacances. D'après notre étude réalisée courant juin sur le Covid, 55% des ophtalmologistes avaient prévu de reporter ou d’annuler leurs congés et 42% d’élargir leur plage horaire de consultation. En outre, 32% des praticiens ont accru le nombre de jours de consultations par semaine. Certains n'exerçaient que 4 jours.

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Les opticiens ont également participé à cet effort de reprise. La mise en place de protocoles sanitaires, le système de prise de rendez-vous ont donné confiance aux consommateurs. Durant cette période, les opticiens ont également animé leur fichier client en mettant en place par exemple des offres promotionnelles. Résultat : les porteurs sont revenus plus rapidement.

Sur la thématique du renouvellement des lunettes avec une ordonnance en cours de validité, la marge de manœuvre est considérable. 85% des achats s'effectuent pour la 1re fois avec une ordonnance récente. Seulement 15% des porteurs utilisent ensuite leur prescription dans le cadre d'un renouvellement.

De leur côté, les consommateurs n'ont, pour le moment, pas restreint leur achat de lunettes. Le marché français est plus résilient que dans d'autres pays, car les clients font confiance à leur opticien et sont fidèles dans 70% des cas. N'oublions pas également le rôle de la complémentaire, qui permet d'avoir un reste à charge faible : 66 euros pour les unifocaux et 171 euros pour les progressifs d'après notre étude réalisée en 2019. Ainsi, les porteurs sont incités à utiliser leur forfait, tous les 2 ou 3 ans. Cet achat est donc orchestré.

A. Cette dynamique va-t-elle se poursuivre ?

M. K : J'estime que les porteurs ne vont pas renoncer à l’achat de lunettes. Dans le contexte actuel, il y a même des éléments positifs. En premier lieu : le développement du travail sur écrans.

Outre l'essor du télétravail, lorsque l'on regarde les mouvements de société, il est certain que l'activité de visioconférence va se développer afin de limiter les déplacements et de gagner du temps. Résultat : les consommateurs vont passer encore davantage de temps devant les écrans. Il y a donc un terrain plus important pour la santé visuelle. Protéger ses yeux représente une nécessité.

2e point : les masques vont avoir un impact sur les comportements des porteurs. Ces derniers sont gênés avec leurs lunettes et de la buée se forme sur leurs verres. Il y aura certainement de l'innovation sur l'anti-buée et le marché du multi-équipement pourrait se développer. Je crois à l'essor du marché des lentilles de contact. Rien n'empêche les clients de porter des lentilles journalières en complément des lunettes. C'est l'occasion pour l'opticien de jouer son rôle professionnel de santé et de faire valoir ses prérogatives en collaboration avec l'ophtalmologiste.

Malgré ces éléments positifs, l'opticien est confronté à un certain nombre de freins déjà existants. Parmi lesquels : la concurrence d'internet sur les lentilles de contact et le solaire non correcteur.

D'après notre observatoire réalisé en juillet 2019, 25,7% des consommateurs avaient effectué leur dernier achat de lentilles sur internet. A contrario, ils n'étaient que 17,7% en 2012. Le post-Covid est un accélérateur de tendances déjà présentes. Bon nombre de clients ont commandé leurs lentilles sur internet durant le confinement. Et certains pour la 1re fois. A l’opticien de disposer de stocks, d’apporter du conseil, d’évoquer les nouveautés pour faire venir à lui le porteur.

Par ailleurs, les lunettes de soleil non correctrices peuvent être trouvées dans 22 canaux de distribution différents. En 2019, 46,8% des clients se sont rendus chez un opticien et 21,8% ont acheté sur internet. Ces chiffres vont croître. Sur ces dernières années, la progression est de +10,7% sur internet et -9,5% en magasin d’optique. Nous connaissons un accélérateur de distribution internet sur la catégorie solaire.

A. Quid du 100% Santé ?

M. K : Le 100% Santé va grignoter quelques points mais pas énormément. Nos études ont montré que le consommateur est content de bénéficier de cette offre. Néanmoins, pour le choix définitif des lunettes, 85% des consommateurs font confiance à leur opticien. Nous ne pensons pas que le 100% Santé va se développer de manière très significative d'autant plus qu'avec la mutuelle, le client peut avoir un reste à charge maîtrisé.

Dans un marché en récession, il est indéniable que les consommateurs vont réaliser des économies. Les opticiens seront également impactés. A eux de justifier leur qualité et leur différenciation. Ils sont sur un marché résilient et porteur et disposent de nombreuses initiatives pour gérer cette période. Je ne crois pas que le marché de l’optique puisse être « disrupté », l’opticien apporte une prestation de prise de mesure, de façonnage qui nécessite sa présence en face du consommateur.