Le 4 avril dernier, Jacques Durand nous quittait. C’était un créateur français de renom qui a inventé et façonné des dizaines de collections, participé à l’émergence des lunettes comme un accessoire prestigieux de mode, imposé un style commercial improbable, et dont les créations sont appréciées et vendues dans le monde entier depuis plusieurs décennies. Il a participé à la transformation dans les années 80/90 de la lunette prothèse en lunette d'art. Une lunette autant pour voir que pour être vu... Il venait d’une époque où il n’y avait ni parcours client, ni tiers payant. Et où il y avait encore tout à faire, tout à créer.

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« Jacques ? C’est l’une des premières personnes que j’ai embauché », lance Alain Mikli, quand on lui pose la question. « On a créé beaucoup de choses ensemble, on a grandi ensemble. Dans les années 80-90, au lancement des lunettes Mikli, on a fait passer des idées, dans le design et aussi dans l’approche commerciale, qui n’étaient pas du tout évidentes dans le secteur ».

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Jacques Durand en 1988


La simplicité au service du visage : des lignes pures, simples, jamais simplistes, qui mettent en avant le contour de la monture pour donner une profondeur verticale audacieuse. Inspiré de l’art contemporain, de l’architecture, de l’automobile, Jacques Durand a développé un style détonant qui a su s’imposer comme un classique, un classique devenu argument commercial au fil du temps, parce qu’il était né de la passion entre un homme et un artisanat. Il a réalisé des collections pour Mikli, Starck, Odo, Blind, Bugatti, Punto Ottico…et collaboré avec de nombreux créateurs.

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De gauche à droite : Jacques Durand, Alain Mikli et Ralph Anderl

 

Ceux qui ont travaillé avec Jacques saluent sa persévérance et son efficacité. Alain Mikli se souvient : « Il cherchait toujours la performance, l’authenticité. Quand j’ai lancé Starck en 1998, Jacques était chef produit projet et commercial, il était capable de faire passer un message, de bousculer les habitudes, les modes d’utilisations. Parfois, il s’est cassé les dents, comme moi je me suis cassé les dents. Mais la créativité ce n’est pas que le produit, c’est aussi les règles commerciales. Jacques avait une manière bien à lui de mener les négociations, il a beaucoup travaillé pour trouver des clients, pour les convaincre, les rassurer, les refuser parfois. Il arrivait à imposer des volumes, il avait des idées marketing ambitieuses et il fallait beaucoup de confiance entre nous pour que cela fonctionne ».
« Je l’ai vu mener des négociations plusieurs fois. Il arrivait à vendre des lunettes très originales à des gens qui ne parlaient même pas la même langue que lui. Il fallait le voir pour le croire », confirme son fils Pierre-Antoine Durand, aujourd’hui distributeur pour Novacel au Canada. Son père était si passionné que « quand on lui posait une question sur le métier, il répondait avec tellement de profondeur qu’on en oubliait jusqu’à la question posée… »

« C’était un ingénieur et un artisan, il avait autant de talent à concevoir les lunettes qu’à les fabriquer », ajoute Jason Kirk, PDG de Kirk and Kirk. Dès 2002, il impulse la collection Bugatti avec beaucoup de passsion, associant haute technologie et design. 

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Collection Jacques Durand modèle "rue du petit bal", également le nom d'une rue de Saint Tropez
 

Jacques Durand installe son atelier dans le Jura en 2007 et collabore avec plusieurs groupes. Il insiste sur l’aspect artisanal et local de ses créations, reçoit un Silmo d’Or en 2010 pour son action en faveur du développement durable. Sur ce sujet il enfonce le clou, en juillet 2020, toujours aussi passionné, et nous laisse son empreinte toujours pédagogique sur Acuite :

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Il déménage en 2012 en Italie à Montecchio Maggiore (Vicenza), berceau historique de l’orfèvrerie italienne, sous l’impulsion de Punto Ottico. Cette année-là, la société JDL (Jacques Durand Lunetier) devient JDO (Jacques Durand Occhiali), et ses activités continuent de se développer. Amoureux de la Méditerranée (plusieurs modèles portent le noms de villes du sud ou de rues de Saint Tropez), Jacques est connu pour être un bon vivant, aimant rire et refusant de se faire du soucis, appréciant la bonne nourriture, le soleil, les femmes, tout en évitant les excès.

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Jacques Durand chez Alain Mikli en Corse, il y a quelques années

 

Mais, en 2020, le cancer fait son apparition et, peu à peu, prend le dessus. Domenico Concato, désormais PDG de JDO, l’a accompagné jusqu’au bout : « Jacques refusait la maladie, il n’aimait pas être objet de compassion. Ma conjointe et moi avons tout fait pour alléger son traitement. Pour lui, comme pour nous, nos échanges sur les projets futurs, c’était le moyen d’aller au-delà de la cruauté de la maladie. Jacques avait du caractère, et il avait un grand respect pour tout ce que nous avons construit ensemble. Aujourd’hui, grâce à sa contribution, nous avons une entreprise où des centaines de personnes travaillent tous les jours pour amener la collection Jacques Durand vers la route que nous avons tracé ensemble. Nous souhaitons préserver, maîtriser et assurer les objectifs de qualité et éthiques que nous nous sommes imposés dès le début. Notre volonté, c’est de perpétuer le nom de Jacques Durand dans l’avenir ».

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« Mieux vaut être beau et myope que seulement myope », était un des slogans commercial développé dans les années 90.

 

Son héritage, il ne l’emportera pas au paradis. Son savoir-faire, sa persévérance, son audace et ses collections ont été transmis. À tel point que beaucoup de monde ne s’est pas rendu compte qu’il avait disparu ; ses modèles, eux, résonnent et chantent toujours sur les visages de leurs porteurs et dans les magasins, et seront pendant longtemps encore parmi nous.