« À l’époque, tout le monde faisait ses lunettes chez l’opticien Pigeard, c’est une maison réputée depuis longtemps par ici. J’ai connu le grand-père et même l’arrière-grand-père de Monsieur Pigeard. J’y suis fidèle car j’ai toujours été bien servi. Quand on a affaire à des maisons sérieuses comme celle-ci, on revient ». Eugène, 90 ans, fait partie des clients « historiques » de la plus vieille famille d’opticiens de France. Pas moins de 4 générations (sur 6) de Pigeard ont délivré un équipement optique à ce témoin d’une partie de la longue histoire qui a débuté il y a 160 ans, sous le règne de Napoléon III.

Coutellerie et optique

En 1863, Auguste Pigeard, maître coutelier de son état, a l’idée de développer un rayon d’optique dans son échoppe rue Giroust à Nogent-le-Rotrou. « À l’époque, le métier de l’opticien n’existait pas, c’était souvent des joailliers ou des bijoutiers qui s’en occupaient. Mon trisaïeul Auguste aiguisait les lames avec sa meuleuse et c'est ainsi qu’il s’est aussi mis à utiliser pour tailler les verres. Ça lui a procuré des revenus complémentaires », raconte Christophe Pigeard, l’actuel directeur de l’entreprise.

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Le magasin d'Auguste Pigeard. @Pigeard Opticiens

 

Une histoire mouvementée

En 1870, Auguste manque d'être fusillé pour avoir volé des fusils à l'ennemi, lors de la guerre franco-allemande. Gracié par un général allemand, il continue à travailler dans son magasin jusqu'à sa mort en 1900. Son fils, Georges Pigeard lui succède.

« Mon arrière-grand-père Georges était lui aussi maître coutelier, mais il a développé l'optique au point d'en faire l'activité principale dans les années 30 » explique Christophe Pigeard. « Lorsqu'il meurt en 1939 juste avant la Seconde Guerre mondiale, mon grand-père Georges - le deuxième du nom - reprend le magasin. Mais celui-ci est complètement détruit dans le bombardement de Nogent-le-Rotrou en 1944 ».

 

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Georges Pigeard au milieu des décombres de son magasin, rue de Giroust. @Pigeard Opticiens

 

Un nouvel essor

« Notre famille était installée là depuis 80 ans, mais il ne nous reste plus grand chose de cette époque à cause du bombardement. Suite à ça, mon grand-père Georges et sa femme Fernande, tous les deux opticiens de métier se sont installés en centre-ville, dans un magasin mieux placé, 6 rue de Sully. Nous y sommes restés jusqu'en 2021 » indique Christophe. 

« Pour développer l'activité, mon grand-père et son fils - mon père - faisait des examens de vue sur les marchés et dans des halls d'hôtels. Grâce à ça, il s'est fait connaitre dans toute la région du Perche. Mais en 1950, la loi a interdit aux opticiens de se déplacer hors du magasin ». Face à cette interdiction, Georges Pigeard ouvre une première succursale à Brou, dans l'Eure-et-Loir.

De Morez jusqu'au Cameroun

En 1963, l'année du centenaire de la maison Pigeard, Georges Louis Henri Pigeard (troisième du nom), obtient son diplôme à l'école d'optique de Morez. Il reprend l'affaire et très vite, il modernise les points de vente. « À la fin des années 60, mon père a rapidement adopté le système venu des États-Unis qui consistait a exposer les montures sur des présentoirs fixes. Aujourd'hui ça parait normal mais à l'époque c'était révolutionnaire. Les ventes ont explosées » rapporte Christophe. 

Au début des années 80, à la suite d’une rencontre avec un ami ophtalmologiste et membre du « Rotary Club International » qui opére en Afrique, Georges Pigeard crée le « Rotary Aphaque System ». Ce concours de circonstances en fait l’un des fondateurs « d’Ophtalmos Sans Frontières ». Il met alors au point des lunettes pour les patients opérés de la cataracte qui leur permettent de retrouver une vision convenable et cela pour un faible coût. Des centaines de milliers de ces lunettes ont été fabriquées durant plus de 15 ans.

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Article de presse sur les lunettes mises au point par Georges Pigeard. @Pigeard Opticiens

 

Examens de vue à La Loupe

Christophe Pigeard dernier de la lignée, nous raconte comme il est revenu à l'optique : « Après avoir décroché le titre de champion de France de skateboard, je me suis installé à La Rochelle. À la mort de mon père, je suis rentré et j'ai repris la direction des magasins. En 2004, j'ai ouvert un 3e point de vente à La Loupe, ville où mon grand-père se rendait pour faire des examens de vue sur les marchés. Mon premier client était un monsieur très âgé qui attendait impatiemment devant la porte le jour de l'ouverture. Il tenait absolument à être le premier client à être servi dans ce nouveau magasin car il avait toujours été équipé par les opticiens Pigeard. Ca fait vraiment plaisir. », se souvient Christophe Pigeard avec émotion. 

Vers une 7e génération ?

« Aujourd'hui mon fils Antoine, diplômé en 2013, travaille avec moi. Il a toujours voulu être opticien et c'est lui qui reprendra les magasins. Nous avons déplacé Brou en 2014 pour un espace plus grand, de même avec le magasin de Nogent-le-Rotrou en 2021. Nous avons un espace de 300m2 qui nous a permis de continuer à développer les solutions autour de la basse vision, ce que faisait déjà mon père. Nous avons maintenant un atelier pour faire du sur-mesure, un salon d'examen très complet ainsi qu'un espace dédidé uniquement à la vision de l'enfant et aux équipements de sport. Nous communiquons beaucoup avec les ophtalmologistes et nous sommes aussi spécialistes de la DMLA. C'est une fierté d'exercer ce métier utile, riche et technique.

Cette année, nous fêtons nos 160 ans et nous sommes fiers d'être proches de nos clients depuis aussi longtemps ».