Comme un grand nombre d’entre vous, Christophe Perrin a vécu l’arrivée des réseaux de soins comme une aubaine. Tout du moins au début, car très vite c’est devenu « une contrainte » et « une angoisse » pour lui. Face à cette situation, il a radicalement changé de stratégie en janvier 2015. Alors que l’Association des Opticiens de Savoie organisent ce 9 décembre une journée d’échanges dans l'objectif de « fédérer » encore plus de confrères, rencontre avec un opticien membre de l'association, qui a quitté les réseaux de soins du jour au lendemain...

christophe_perrin.jpgAcuité : Quel est votre parcours ?

Christophe Perrin : Je suis diplômé du Lycée Victor Bérard de Morez, promotion 1988. Après quelques années sur la région parisienne, je me suis installé en 1994 à La Motte-Servolex en Savoie (73). Je suis aujourd’hui propriétaire d’un magasin et dirige une équipe de 5 collaborateurs.

A. : A l’époque, comment avez-vous vécu la mise en place des réseaux de soins par les Ocam ?

C.P. : Les premiers réseaux de soins sont apparus il y a 9 ans environ. Au départ, c’était une aubaine. J’ai pensé que ça nous apporterait un flux de clients suffisant afin de pérenniser l’affaire. Les tarifs demandés par les Ocam étaient relativement acceptables et il n’y avait pas beaucoup de contraintes, que ce soit au niveau de l’équipement magasin ou des critères de qualité. La façon, dont les choses étaient présentées, me laissait penser que c’était intéressant et qu’il n’y avait pas de raison de s’inquiéter.

A. : Mais depuis vous avez changé d’avis.

C.P. : Dès le 2ème appel d’offres, 3 ans plus tard, j’ai commencé à déchanter. Je me suis posé des  questions devant les conditions qui devenaient de plus en plus contraignantes. Et à chaque renouvellement, c’était de pire en pire. Pour compenser ma baisse de marge d’environ 3 points, j’ai fini par postuler à tous les réseaux de soins.

A. : Etait-ce la solution ?

C.P. : Je me rends compte que non. En octobre 2014, j’ai postulé auprès des 3 réseaux qui renouvelaient leur parc d’opticiens. Mais la situation est devenue catastrophique et intenable moralement. Comment face aux contraintes des plateformes et à un système draconien, réussir à maintenir une certaine qualité de conseil et de service pour mes clients ? Mon équipe avait le sentiment de faire de l’abattage de clients pour faire du chiffre. De mon côté, je suis tombé en dépression ce qui s’est ressenti sur mes collaborateurs et mon activité.

A. : Comment avez-vous réagi ?

C.P. : Je n’y croyais plus du tout. Je voyais déjà la fin et j’ai même envisagé de vendre le magasin. Puis j’ai eu la chance de rencontrer mes confrères du département. Ils sont venus me voir en novembre 2014 pour me proposer de m’unir à eux et de mener un combat contre les réseaux. Battons-nous pour notre métier et redorons le blason de profession ! C’est dans cet objectif que nous avons monté l’Association des Opticiens de Savoie.

A. : Quelle conséquence a eu votre engagement sur votre point de vente ?

C.P. : Alors que j’avais été retenu dans les 3 réseaux auxquels j’avais postulés, j’ai décidé de tout arrêter. En janvier 2015, j’ai tout quitté en l’espace de 15 jours et j’ai commencé à aller beaucoup mieux. Du jour au lendemain, la courbe de mon chiffre d’affaires s’est inversée avec, cette année, une évolution positive d’environ 8%. Il y aura toujours des clients qui préféreront aller dans le réseau mais ce n’est pas la majorité. J’ai pris un risque mais au moins j’exerce aujourd’hui mon métier comme je l’entends. Notre activité ne s’est jamais aussi bien portée !

A. : Comment avez-vous expliqué ce revirement de stratégie à votre équipe et vos clients ?

C.P. : Mon équipe m’a soutenu, convaincue qu’on courrait à notre perte avec les réseaux de soins. Ensemble, nous avons réfléchi à une stratégie pour l’expliquer à nos porteurs. Nous nous appuyons sur un discours positif et cohérent avec des arguments clés. Par exemple, nous ne dirons jamais à un client qu’on ne pratique pas la prise en charge avec son réseau, mais plutôt que nous avons beaucoup de clients comme lui et des offres spécifiques à lui proposer. Aussi, nous allons lui expliquer les risques qui pèsent sur sa liberté de choix s’il choisit d’aller dans son réseau. Enfin, nous acceptons le paiement différé pour faciliter l’achat et nous continuons à nous occuper du côté administratif (envoi de la prise en charge à l’Ocam...). Nous développons également notre activité en Basse Vision, contactologie et les rendez-vous à domicile.

A. : Quel message voulez-vous faire passer à vos confrères ?

C.P. : La méthode qui consiste à signer tous les réseaux, ne peut être qu’un pansement à court terme. Tant qu’il y aura des signataires, les plateformes continueront à serrer la vis. Aujourd’hui, il faut prendre notre métier en main : le client ne recherche pas nécessairement un prix mais avant tout un équipement qui lui convienne. Il faut savoir lui redonner confiance en notre profession. C’est aussi un travail que nous devons mener entre nous car nous sommes confrères avant d’être concurrents. Avec l’Association, le plus dur a été de convaincre les autres magasins de rejoindre le mouvement, d’en discuter pour avancer ensemble et faire le même métier. Mais au bout d’un an maintenant, nous regroupons 98% des opticiens de la Savoie.