Un reportage diffusé sur France 5 mardi 22 mars intitulé « Se soigner moins cher, arnaques et bonnes affaires » met en avant certains dysfonctionnements et abus autour du dispositif 100% Santé. Il met aussi en lumière le manque de sérieux de la presse généraliste, l’aspect superficiel d’enquête avec une caméra cachée comme excuse, et un montage suffisamment habile pour tromper leurs spectateurs.

Le reportage audiovisuel dure 52 minutes, puis embraye sur un plateau télévisé mettant en scène plusieurs invités pour débattre pendant près d’une heure.

  •  Une première partie du reportage met en lumière des sur-facturations dans les centres de soins d'ophtalmologie.
  •  Une deuxième partie est consacrée aux dérives dans les soins dentaires avec des exemples de mutilations médicales pour vendre des prothèses.
  •  La troisième partie concerne les équipements audio et l’augmentation inédite des ventes grâce au 100% Santé (seule séquence mettant en valeur le 100% Santé).
  •  La quatrième partie concerne l’optique (qui dure 14 minutes), que nous allons détailler ici.

Trois magasins peu scrupuleux qui confortent le scénario

38’16 : Début de la séquence sur l’optique. Un jeune journaliste entre dans un magasin et filme en caméra cachée. Il a une petite correction visuelle, mais il ne parle pas de son budget. L’opticienne lui indique d’emblée que la première page du devis ne le concerne pas, parce qu’il s’agit du 100% Santé : et avec le 100% Santé, il n’aura pas la possibilité d’avoir des filtres anti UV et anti lumière bleue (sans lui expliquer ce que c’est, ni savoir si ça l’intéresse). Et que les montures, ce ne sera pas de la marque. « Cette opticienne va pourtant, sans me demander mon avis, rayer cette offre d’un trait de plume, sur mon devis », dit la voix off. Et pourtant, sur les images, elle ne raye rien du tout (40’25).

40’32 : Dans le magasin suivant, on lui propose d’abord une monture en SPX qui équipait les astronautes de la Nasa : 300 euros, dont 200 de RAC. Sauf que la discussion pourrait avoir lieu non pas lorsque le client entre dans le magasin, mais peut-être 10 minutes plus tard lorsque beaucoup de sujets ont déjà été abordés. Au bout d’un moment, alors que le client/journaliste insiste pour avoir un équipement en-dessous de 150 euros, l’opticienne fini par proposer le 100% santé. Pratique pour le scénario !

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42’02 : Dans le 3e magasin, la voix off dit la chose suivante : « Ici, d’après l’opticien, les clients qui auraient choisi le 100% Santé, s’en seraient même mordu les doigts ». On découvre alors qu’il est possible de regretter l'achat d'un produit de santé qui est 100% gratuit…

Dans ce magasin, l’opticien affirme qu’il a beaucoup de retours d’équipements du panier A, qu’ils ne sont pas de très bonne qualité. On distingue clairement une coupure audio à 42’29.

Le problème dans cette séquence, c’est que la caméra ne filme jamais une bouche parce que les interlocuteurs sont soit hors champ, soit floutés, soit masqués. La production a pu coller l’extrait sonore qu’elle voulait, qu’il ait eu lieu au moment des faits, 30 secondes auparavant ou 5 jours plus tard. Cette astuce de montage, seule France Télévisions la connaissait…

Ces trois magasins (dont on ne connait ni l’emplacement géographique ni la sociologie de la clientèle) sur les +12 000 points de vente en activité en France ne sont évidemment pas représentatifs mais prennent ici l’allure d’une démonstration. Ce ne sont pas non plus des faits anodins, et la profession les condamne fermement. Ne pas informer le consommateur de l’offre 100% Santé est une pratique illégale qui ne rend service ni à leur magasin, ni à la profession.

Des chiffres erronés (qui confortent le scénario)

42’45 : la voix off parle d’une récente enquête de la répression des fraudes qui indique que, sur plus de 300 magasins, les 2/3 des opticiens seraient en infraction. Faux ! Ces deux chiffres sont très éloignés de la réalité, et ne reflètent pas le rapport de la DGCCRF dévoilée le 25 février dernier. Selon nos informations, ce rapport a pourtant été remis aux journalistes de France 5. Mais ils ont préféré ne pas le prendre en compte, parce que cela demandait de revoir le scénario. Les résultats de l’enquête sont publics et consultables ici, à toutes fins utiles. 

Un protocole biaisé (qui conforte le scénario)

La séquence suivante porte sur des tests en "laboratoire" : une paire de lunettes 100% santé et une paire de lunettes à 400 euros sont confrontées à une série de tests.

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Les verres passent le test de la bille d’acier sans encombres (les journalistes semblent ne pas savoir que c’est un prérequis à la mise sur le marché de n’importe quel verre). Les deux montures subissent aussi un test de résistance : la monture "haut de gamme" se retrouve courbée sans possibilité d’être redressée. Puis, le technicien tort la monture avec ses mains jusqu’à ce qu’elle se brise pour montrer qu’elle est fragile. Sauf que ce n’est pas une l’utilisation normale d’une lunette, que le porteur a l’habitude de mettre et d’enlever de son nez, de ranger dans un étui ou accidentellement de s’asseoir dessus. Pas de tordre dans tous les sens, sauf peut-être dans les reportages de France Télévisions pour conforter un scénario.

Les montures peuvent très bien être plus fragiles car plus fines pour des raisons esthétiques. La priorité n’est pas forcément la résistance, selon le modèle choisi. Il faut visiblement rappeler qu’elles sont accompagnées d’une garantie et peuvent être prises en charges partiellement par les complémentaires santé. Mais ça, ce n'est pas dans le scénario.

 

Nous avons cherché à contacter les responsables des 3 syndicats d’opticiens pour connaître leur opinion sur ce reportage. La réaction du Rof et de la Fnof ici.