Le système belge s’éloigne du modèle anglo-saxon pour se rapprocher du système français. L'ordonnance d'un ophtalmologiste est maintenant obligatoire pour obtenir une première paire de lunettes en Belgique, depuis un arrêté royal entré en application le 19 février (disponible en pièce jointe ci-contre). Pourtant le pays fait face aux mêmes difficultés d'accès aux soins visuels qu'en France, avec des urgences surchargées et des délais d'attente importants en cabinets. 

Déshabiller les opticiens-optométristes au profit des orthoptistes

Cette mesure mécontente les opticiens belges. « Cet arrêté nous impose beaucoup de limites. Le changement fondamental, c’est qu’un opticien devra toujours avoir une sorte de laisser-passer de l’ophtalmologiste avant d’effectuer un examen de réfraction approfondi » nous a expliqué Viviane de Vries, présidente de l’Association Professionnelle des Opticiens et Optométristes de Belgique (APOOB). « De plus, la prise de mesure de la longueur axiale revient maintenant à l’orthoptiste et à l’ophtalmologiste. Ils ont déshabillé les opticiens-optométristes en faveur des orthoptistes. Nous étions la porte d'entrée pour quiconque ressentait le besoin d'avoir un avis et un examen visuel. Nous pouvions déceler des anomalies en amont et le cas échéant rediriger le patient vers un médecin, ce qui permettait d'éviter de consulter pour rien. Il faut savoir que les délais de rendez-vous sont très long, et les urgences saturées. Dans la province du Luxembourg, il faut parfois attendre un an, voire 18 mois pour obtenir un rendez-vous en cabinet ».

« On nous a retiré des droits acquis »

Fabienne est opticienne depuis plus de 30 ans. Dans son magasin indépendant au centre de Bruxelles, cette nouvelle loi n’a pas vraiment changé la manière dont elle travaille, mais elle est consternée par ce qu’elle implique : « On restreint nos compétences pour lesquelles nous avons été formés, on nous a retiré des droits acquis », explique-t-elle. « On ne nous fait même plus confiance pour les adaptations : la loi m’impose de ne modifier un équipement que de 0,5 dioptrie par rapport à l’ordonnance, et 10° d'axe de cylindre. Si un client n’est pas à l’aise avec ses verres ou lentilles, il doit maintenant retourner consulter un ophtalmologiste, ce qui implique 2 mois d’attente à Bruxelles. Ces aller-retours compliquent la vie du client, d’autant plus que les consultations sont très mal remboursées*, tout comme les équipements. Un client peut rapidement se retrouver à payer très cher une erreur d’ophtalmologiste. Mais aujourd’hui mes confrères continuent de travailler comme avant, tant qu’il n’y a pas de contrôles, parce que cette loi n’a aucun sens. Elle a néanmoins le mérite de nous faire prendre conscience que notre activité peut être menacée si nous ne sommes pas attentifs et unis ».

Les ophtalmologistes saluent la mesure

Cet arrêté fait suite aux remontées d'ophtalmologistes qui constataient jusque-là trop de patients atteints de pathologies avancées non décelées par les opticiens-optométristes.

Dans les colonnes de l'Echo, Marnix Claeys, président sortant du Syndicat des ophtalmologistes de Belgique précise que les patients n'ont pas besoin de consulter un ophtalmologue pour chaque nouvelle paire de lunettes après leur premier contrôle : « Les enfants de moins de 12 ans doivent subir un contrôle chaque année si des doutes persistent sur leurs yeux. Avant 45 ans, cela se fait une fois tous les 10 ans, puis tous les trois ans à partir de 45 ans, et tous les deux ans à partir de 65 ans ».

Encore loin du système français

Bien que cette réforme établit une relation entre ophtalmologistes et opticiens-optométristes proche de notre modèle français, il subsiste des différences sensibles, principalement au niveau de la prise en charge des équipements où nous restons les champions. En Belgique, le système de remboursement est calculé en fonction des dioptries et de la tranche d’âge. Les enfants bénéficient d'une prise en charge tous les 2 ans, jusqu’à l’âge de 18 ans. Les personnes âgées sont remboursées sur les progressifs à partir de 4,25 dioptries, et toutes les autres tranches d’âges à partir de 7,75 dioptries. Quant aux montures, la prise en charge est d’un montant de… 28 euros. 

L'Apoob et la Belgium Federation of Optometrists (BFO) ont déposé auprès du Conseil d'Etat une requête pour faire annuler cette loi.  

 

*Selon une étude de la RTBF, « une consultation chez un ophtalmologiste conventionné coûte 42€ au patient, remboursée 29€ par la mutuelle : il reste 13€ à charge du patient. Mais dans 60% des cas, les ophtalmologistes sont déconventionnés et le tarif moyen de la visite est de 65€, avec donc 36€ à charge du patient.