La PPL du sénateur Kerdraon publiée sur le site Internet du Sénat

 

Le texte de la proposition de projet de loi du sénateur (PS) Ronan Kerdraon, « tendant à favoriser l'accès aux soins oculaires sur tout le territoire par l'organisation d'une filière de formations en santé visuelle », a été publiée officiellement samedi 14 juin sur le site Internet du Sénat, comme nous vous l'indiquions dans nos news précédentes (lire nos news : « Exclu : Plus de transparence dans les devis et les remboursements des Ocam » ; « Exclu : Orthoptiste-Optométriste : bientôt la création d'une nouvelle profession ? » et « Création de la profession ‘Orthoptiste-Optométriste' : la réaction des syndicats »). 


Vous trouverez ci-dessous l'intégralité de ce texte présenté par les sénateurs Ronan Kerdraon, Karine Claireaux, Jacqueline Alquier, François Marc, Maryvonne Blondin, Jean-Claude Leroy, Marcel Rainaud, Hervé Poher, Delphine Bataille, Yannick Vaugrenard, Edmond Hervé, Gisèle Printz, Thani Mohamed Soilihi et Odette Herviaux. 


Exposé des Motifs

"Mesdames, Messieurs,

Selon l'assurance maladie, il faut 77 jours en moyenne en France avant de pouvoir consulter un ophtalmologiste. À titre d'exemple, les habitants du département de la Loire sont contraints à un délai moyen de 205 jours avant de pouvoir obtenir une consultation. Les départements du Finistère, de l'Isère et de la Seine-Maritime souffrent quant à eux d'une attente supérieure à 174 jours. 15 % des ophtalmologistes déclarent ne pas pouvoir prendre en charge un nouveau patient dans l'année.

Ces délais ne sont pas acceptables en termes d'accès à la santé visuelle, de gestion de l'urgence, de qualité de soins et vont à l'encontre des principes de santé publique. 8,5 millions de personnes vivent dans un désert médical pour l'accès à des soins oculaires sur la base du seul critère géographique, mais on arrive à 28,7 millions si l'on considère aussi le critère financier, soit 45 % de la population totale. 

Selon le scénario tendanciel retenu par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, le nombre d'ophtalmologistes chuterait de plus d'un tiers d'ici 2030. En effet, parmi les ophtalmologistes, 39,9 % ont 55 ans et plus. De nombreux départs à la retraite sont donc à prévoir alors que, dans le même temps, la demande en soins explose avec le vieillissement de la population, ce qui entraîne une augmentation des pathologies oculaires et neuro-dégénératives avec risques de perte d'autonomie, ainsi qu'un besoin accru de dépistages précoces, tant chez les jeunes enfants que pour éviter les conséquences néfastes des pathologies chroniques. 

Les déserts médicaux, ainsi que la perspective d'une forte diminution du nombre de médecins dans les prochaines années, conduisent à rechercher les modalités d'une délégation de tâches vers d'autres professions de santé afin de dégager du temps médical et de permettre aux médecins de se recentrer sur ce qui constitue le coeur de leur métier et leur valeur ajoutée spécifique. Cela implique d'optimiser les compétences de chacune des professions de santé. 

Il convient donc de repenser l'organisation de cette filière de manière à garantir durablement l'accès aux soins. Ce qui suppose de revoir les conditions de formation des professions qui concourent à la santé visuelle. En effet, le problème majeur de l'accès à la santé visuelle semble résider dans le manque de confiance de l'ensemble des professionnels du secteur entre eux, en raison de l'éparpillement des professions et du manque de lisibilité des formations. Il apparaît donc peu judicieux de maintenir des formations aussi diversifiées et éclatées sur le territoire. Cette situation ne facilite pas les délégations de tâches de certains actes ophtalmologiques. 

L'enjeu n'est pas simplement de reconnaître les spécificités de formations et de professions, il est aussi de créer les conditions d'un travail collaboratif plus harmonieux entre professionnels. Or, une délégation ne peut se réaliser que si les conditions de confiance professionnelle entre le délégant et le délégataire sont réunies. Pour cela, il paraît essentiel que la formation unique au métier d'« orthoptiste-optométriste » soit reconnue par le corps médical. Plusieurs pays donnent l'exemple d'une répartition des rôles permettant aux ophtalmologistes de se concentrer sur les cas pathologiques et la chirurgie. Ils sont alors secondés par des orthoptistes ou par, selon l'orientation historique de chacun des pays, des optométristes dont le niveau de qualification est atteint au terme d'une formation supérieure appropriée. 

Il est important de souligner ici que l'intitulé de la formation et la reconnaissance du métier d'optométriste au niveau mondial varient d'un pays à un autre. À titre d'exemple le diplôme délivré à l'université de Deakin à Melbourne (Australie) porte le nom de « Master of optometry ». Au Canada pour exercer le métier d'optométriste, il est réclamé un « Doctorat en optométrie ». En Norvège, deux intitulés sont proposés « Master of philosophy in visual science » et « Master of science in clinical optometry ». Enfin, en Espagne, le master proposé s'intitule « Master's degree in clinical optometry ». Cette diversité d'appellations n'empêche en rien la libre circulation des étudiants. L'ensemble de ces formations internationales dispense un enseignement à dominante clinique et médicale, ce qui diffère grandement du diplôme « Master science de la vision » délivré aujourd'hui en France. En effet, on retrouve notamment au programme de ce master, une unité d'enseignement intitulé « Incitation à la création d'entreprise » : « L'objectif est d'enseigner les fondamentaux de l'entreprise innovante, de réaliser une entreprise virtuelle qui favorise l'apprentissage du travail en équipe. Une place importante est donnée au développement personnel et aux facteurs subjectifs à l'origine de la création d'entreprise. Cette UE est animée par des créateurs et chefs d'entreprise. » (Université Paris-Sud - Les formations en Optométrie - année 2013-2014). 

Par ailleurs, parmi les débouchés mis en avant dans la plaquette de présentation des formations, sont évoqués des métiers à caractère purement commercial. Dans la perspective de répondre aux besoins, la présente proposition de loi tend à insérer les professions de la santé visuelle dans le schéma « LMD » issu du processus de Bologne ; cela permettra de créer une dynamique entre les trois professions de la santé visuelle, qui seraient ainsi parfaitement complémentaires. L'opticien-lunetier est un acteur majeur de la prise en charge des besoins de santé visuelle. Néanmoins, il convient d'élargir le champ de compétences des opticiens-lunetiers et permettre ainsi à des professionnels formés et compétents d'exercer leur art en complémentarité avec les ophtalmologistes. En conséquence, la formation des opticiens-lunetiers serait portée à trois ans, ce qui est déjà le cas des orthoptistes. Aussi, le programme devra porter sur la physiologie de l'oeil et ses défauts (anatomie, pathologie oculomotrice, santé publique, stage clinique ou en cabinet et éthique médicale...) les systèmes optiques, les mesures faciales, l'étude, la réalisation et le contrôle des équipements correctifs, la communication, la vente et la gestion. 

L'idée de créer une profession réglementée a aussi un autre intérêt : redonner confiance aux citoyens. Ainsi, la création d'une profession réglementée imposera un délai de validation d'acquis des professionnels susceptibles d'exercer cette profession, et donc de disposer d'un diplôme au contenu plus dense et au niveau parfois plus élevé qu'auparavant. Mais surtout, cela permettra de mieux réglementer le marché de l'optique qui a pu montrer certaines dérives par le passé. C'est donc aussi pour donner confiance dans ce nouveau métier que le choix de la profession réglementée apparaît le plus pertinente. Force est de constater que le dispositif de formation initiale en place tarde à être adapté aux besoins des évolutions du métier d'opticien-lunetier. Les formations existantes sont jugées par beaucoup comme insatisfaisantes au regard des besoins actuels. Sans parler de la multiplication des écoles et des formations post BTS sans contrôle ni maîtrise. En allongeant et en approfondissant l'introduction de la formation des opticiens-lunetiers dans le schéma LMD, un opticien-lunetier se verrait parfaire sa complémentarité avec les autres professions de santé visuelle. C'est tout l'objet du programme évolutif des certificats de qualification professionnelle (CQP) qui ont été mis en place par la profession, et c'est dans ce cadre que doit évoluer la formation initiale et donc le diplôme permettant l'exercice de la profession d'opticien-lunetier, qui fera de lui un véritable acteur de la santé visuelle des Français. 

Les conditions dans lesquelles les actuels orthoptistes et opticiens-lunetiers pourraient accéder à la nouvelle profession après une formation complémentaire seraient fixées par voie réglementaire. À l'issue de ces trois ans, les orthoptistes et les opticiens-lunetiers auront la possibilité de poursuivre deux années supplémentaires pour devenir « orthoptiste-optométriste ». Lors de la troisième année, les étudiants qui souhaitent poursuivre vers le métier d'« orthoptiste-optométriste », devront choisir des unités d'enseignements supplémentaires :
- les opticiens-lunetiers auraient à acquérir des connaissances cliniques solides ; 
- les orthoptistes auraient à acquérir les bases techniques de fabrication et montage des équipements optiques. 

Une fois les 5 années de formation achevées, l'« orthoptiste-optométriste » pourra effectuer les actes définis dans le code de la santé et dans les décrets d'actes, tels que des examens de réfraction et de dépistage, prescrire des dispositifs correcteurs, assurer le suivi de la physiologie visuelle ou de la pathologie stabilisée, en association avec le médecin ophtalmologiste référent du patient. Parallèlement, il se verra confier un rôle dans la réalisation de tests de capacité visuelle nécessaires à l'obtention du permis de conduire, ainsi que des interventions au titre de la prévention. La mutualisation de ces enseignements tend à la création d'une nouvelle profession plus polyvalente, à dominante médicale et facilitant la délégation de tâches. Par sa nature même, cette profession se développerait en priorité dans les zones où les ophtalmologistes sont trop peu nombreux, ce qui permettrait d'y garantir une prise en charge plus rapide tant des pathologies que des besoins de correction visuelle. 

Les programmes des formations concernées seront établis en concertation avec le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, la Haute autorité de santé et les représentants des professions. Parallèlement, la protection sociale relevant de la solidarité nationale est insuffisante en optique et peut induire un retard d'équipement et une protection sociale privée (Organisme complémentaire à l'assurance maladie) peu lisible en matière de garanties, insuffisamment encadrée en matière de pratiques, et non accessible à tous. Avant d'acheter leur équipement, près de la moitié des Français calculent les montants restant à leur charge, 40 % se renseignent auprès de leur complémentaire santé, comparent les prix et les prestations chez les opticiens, 33 % font établir des devis. 

En conséquence, il convient d'instaurer la plus grande transparence dans les conditions de vente des verres correcteurs. C'est pourquoi la présente proposition de loi prévoit que l'opticien-lunetier devra présenter deux types de devis : 
- un devis sans reste à charge adapté soit aux personnes bénéficiant de la CMU-C, soit aux autres titulaires d'une assurance complémentaire et d'une offre plafonnée au montant des contrats responsables ; 
- un devis avec reste à charge tenant compte des caractéristiques souhaitées par le client. 

Afin de faciliter la mise en oeuvre de cette obligation, il est précisé que les organismes complémentaires devront fournir une information claire, aisément accessible, sur les plafonds de remboursement. En parallèle de cette obligation de propositions de devis, les organismes complémentaires d'assurance maladie seraient tenus de pratiquer le tiers payant à hauteur des plafonds de remboursement des contrats responsables et sous réserve de droits ouverts à la date d'acquisition. Pour ce faire, les complémentaires devraient mettre en place une simplification de la carte de l'assuré (pour une meilleure lisibilité de la prise en charge avec inscription obligatoire du montant de la prise en charge). Cette évolution des compétences favorisera une prise en charge encore mieux adaptée aux évolutions des besoins des patients et des clients, en apportant par ailleurs une solution complémentaire à la démographie médicale déclinante, dans un contexte sécurisé. Car on constate malheureusement que les manquements du système de santé visuelle qui touchent actuellement l'ensemble du territoire, entrainent le développement d'une filière alternative à risque, voir abusive, pouvant mettre à terme en danger la santé oculaire des patients." 


PROPOSITION DE LOI


Article 1er 


Dans l'intitulé du titre IV du livre III de la quatrième partie du code de la santé publique, les mots : « et d'orthoptiste », sont remplacés par les mots : «, d'orthoptiste et d'orthoptiste-optométriste ». 

Article 2 

 

L'intitulé du chapitre II du titre IV du livre III de la quatrième partie du code de la santé publique est complété par les mots : « et orthoptiste-optométriste ». 

Article 3 

L'article L. 4342-1 du code de la santé publique est ainsi modifié : 
1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : 
« Est considérée comme exerçant la profession d'orthoptiste-optométriste toute personne qui exécute habituellement des actes professionnels d'orthoptie et d'orthoptie-optométrie, définis par décret en Conseil d'État pris après avis de l'Académie nationale de médecine. » ; 
2° Au dernier alinéa, après le mot : « orthoptistes » sont insérés les mots : « et orthoptistes-optométristes » ; 
3° L'article est complété par un alinéa ainsi rédigé : 
« Dans les conditions prévues à l'alinéa précédent, les orthoptistes-optométristes participent à la politique de prévention en matière de santé visuelle et à la réalisation de tests d'acuité visuelle. » 

Article 4 
L'article L. 4342-2 du même code est ainsi modifié : 
1° Le premier alinéa est complété par les mots : « ou d'orthoptiste-optométriste » ; 
2° Au quatrième alinéa, les mots : « cette profession » sont remplacés par les mots : « ces professions » ; 
3° Au cinquième alinéa, après les mots : « un orthoptiste » sont insérés les mots : « ou un orthoptiste-optométriste » ; 
4° Le sixième alinéa est complété par les mots : « et aux orthoptistes-optométristes ». 

Article 5 
L'article L. 4342-2-1 du même code est ainsi modifié : 
1° Aux deux premiers alinéas, après le mot : « orthoptiste » sont insérés les mots : « ou l'orthoptiste-optométriste » ; 
2° Le dernier alinéa est complété par les mots : « ou d'orthoptiste-optométriste » 

Article 6 
L'article L. 4342-3 du même code est ainsi rédigé : 
« Art. L. 4342-3. - Les certificats mentionnés à l'article L. 4342-2 sont les certificats de capacité d'orthoptiste ou d'orthoptiste-optométriste institués par le ministre chargé de l'enseignement supérieur. Ils sont délivrés respectivement à l'issue de trois années et cinq années de formation supérieure ». 

Article 7 
Le premier alinéa de l'article L. 4342-4 du même code est ainsi modifié : 
1° Après le mot « orthoptiste » sont insérés les mots : « ou d'orthoptiste-optométriste » ; 
2° Les mots : « un cycle d'études postsecondaires » sont remplacés par les mots : « une formation supérieure appropriée ». 

Article 8 
Le chapitre IV du titre IV du livre III de la quatrième partie du code de la santé publique est ainsi modifié : 
1° À l'article L. 4344-2, après les mots : « les orthoptistes » sont insérés les mots : « , les orthoptistes-optométristes » ; 
2° Au premier alinéa de l'article L. 4344-3, les mots : « et orthoptistes » sont remplacés par les mots : « , orthoptistes et orthoptistes-optométristes » ; 
3° Au premier alinéa de l'article L. 4344-4 et au premier alinéa de l'article L. 4344-5, les mots : « ou d'orthoptiste » sont remplacés par les mots : « d'orthoptiste ou d'orthoptiste-optométriste ». 

Article 9 
La fin du premier alinéa de l'article L. 4362-2 du même code, après les mots : « L. 4362-1 », est ainsi rédigée : 
« sanctionnent trois années de formation supérieure dispensées par un organisme agréé par arrêté des ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé après avis d'une commission nationale de la formation en optique-lunetterie dont la composition est fixée par décret. » 

Article 10 
L'article L. 4362-9 -1 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé : 
« Les opticiens-lunetiers sont habilités à pratiquer l'acte d'adaptation des lentilles oculaires de contact dans le respect du guide de bonnes pratiques élaboré par la Haute autorité de santé. » 

Article 11 
Après le premier alinéa de l'article L. 4362-10 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : 
« Les opticiens-lunetiers établissent en vue de la vente de verres correcteurs des devis avec et sans reste à charge pour les personnes ayant souscrit un contrat d'assurance complémentaire de santé individuel auprès d'une mutuelle, d'une entreprise régie par le code des assurances ou d'une institution de prévoyance, que ce contrat relève ou non de l'article L. 863-1 du code de la sécurité sociale. Ces mutuelles, entreprises et institutions assurent une information claire sur le plafond de remboursement applicable au bénéficiaire du contrat. » 

Article 12 
Les articles 1er à 9 de la présente loi entrent en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard le premier jour du soixante-douzième mois à compter de la publication de cette même loi. Les modalités d'application des articles 6, 9, 10 et 11 sont fixées par voie réglementaire.