Le projet de loi de sécurisation de l'emploi a été adopté hier, mercredi 6 mars, en Conseil des ministres. Celui-ci résulte de l'Accord national interprofessionnel (Ani) conclu le 11 janvier entre syndicats (CFDT, CFE-CGC et CFTC) et patronat (CGPME, Medef, UPA). Il prévoit en premier lieu la généralisation d'une complémentaire santé à tous les salariés d'ici le 1er janvier 2016. A ce jour, près de 4 millions de personnes, notamment dans les PME, ne bénéficient pas d'un contrat collectif (répondre à notre sondage à droite). Pénalisation des assureurs individuels, développement des réseaux de soins et menace sur la Sécurité sociale, quels sont les enjeux et conséquences d'une telle mesure ?

Un accord anticoncurrentiel ?

Les branches professionnelles devront ouvrir des négociations avant le 1er juin 2013. Les discussions porteront sur le contenu et le niveau des garanties, la répartition des cotisations, ainsi que sur les modalités de choix de l'assureur. Aujourd'hui, le projet de loi précise que « dans le cas où une branche identifierait un ou plusieurs organismes, sous la forme d'une désignation s'imposant à ses entreprises ou d'une recommandation, elle devra recourir à une mise en concurrence préalable dans des conditions de transparence et selon des modalités qui seront précisées par décret ». Un mouvement terrifiant pour les spécialistes de l'assurance individuelle menacés de se trouver confinés aux profils d'assurés les moins solvables (retraités, étudiants...). Initialement pourtant, l'accord de janvier prévoyait la suppression des clauses de désignation qui lient des branches professionnelles à un organisme d'assurance particulier. Rappelons que début février l'Apac (Association pour la promotion de l'assurance collective) a saisi l'Autorité de la concurrence, estimant que l'accord « ne présente pas les garanties suffisantes à une véritable ouverture du marché » de la complémentaire santé car « il fait référence aux organismes assureurs désignés » par les branches professionnelles.

Développement des réseaux de soins

La généralisation de la complémentaire santé d'entreprise représente alors une manne de quelque 3 milliards d'euros (selon une estimation de la Fédération française des sociétés d'assurance) pour les Ocam. La mesure devrait bénéficier aux institutions de prévoyance et aux grands groupes mutualistes implantés sur le collectif (Malakoff Médéric, Harmonie Mutuelle, Istya...) au détriment des Compagnies d'assurances qui gèrent les contrats individuels. Elle pourrait ainsi encourager le développement des réseaux de soins par deux effets conjugués :- Elle augmentera mécaniquement le nombre de bénéficiaires et donc le poids de ces organismes, qui ont déjà mis en place des réseaux (Kalivia, Optistya...).- Pour séduire les partenaires sociaux et les entreprises, les Ocam n'hésiteront pas à rejoindre ou à mettre en place des réseaux pour proposer du tiers-payant, l'absence de reste à charge, ...

Menace sur la Sécurité sociale

La généralisation de la complémentaire santé d'entreprise devrait aussi coûter 2,5 milliards d'euros supplémentaires à la Sécurité sociale. En bénéficiant d'exonérations sociales et fiscales considérables, les contrats groupe représente un manque à gagner chiffré en septembre 2011 par la Cour des comptes à 4,3 milliards d'euros. Ainsi, si l'objectif de la mesure semble louable, un certain nombre d'acteurs comme la Fédération des Mutuelles de France demandent que le débat à venir mette à plat la totalité des enjeux. « Lier l'accès à une complémentaire santé au contrat de travail, c'est aller vers moins d'universalité. Que vont devenir les chômeurs, les retraités ou encore les jeunes en formation ?, s'insurge Jean-Paul Benoît, président de la fédération, sur Rue89. L'aboutissement de cette logique est un système à deux vitesses qui laisse sur le coté des millions de personnes, qui ajoute de l'injustice à l'inégalité ».

Le projet de loi doit maintenant être examiné par la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale, du 12 au 27 mars. Il fera ensuite l'objet d'une procédure accélérée au Parlement pour être débattu en séance publique au Palais bourbon début avril puis fin avril au Sénat. Le ministre du Travail Michel Sapin a annoncé que la loi sur la sécurisation de l'emploi « sera applicable début mai ».

Lire aussi : Accord sur la sécurisation de l'emploi : ce qui change pour les employeurs (16/01/2013)