Alors que le gouvernement envisage de renforcer la place des complémentaires santé dans la prise en charge des dépenses de santé en France, faut-il transférer la totalité du risque optique sur ces organismes ? Une large frange de la filière de santé visuelle s'oppose à cette évolution, qui risquerait selon elle de sortir définitivement l'optique du champ médical. Mais, selon certains spécialistes, une telle solution serait bénéfique pour les porteurs.
Cette hypothèse a ainsi été défendue par l'économiste Béatrice Majnoni d'Intignano (Université de Paris XII) et le député Yves Bur, à l'occasion du Forum Economie Santé organisé les 18 et 19 novembre par le journal Les Echos.

Des "rentes de situation" pour certains opticiens

"Les lunettes, comme les médicaments non prescrits, appartiennent aux 'dépenses privées' de santé. Pour nombre de Français, elles font partie de la consommation courante, et pourquoi seraient-elles plus difficiles à financer qu'un I-Pod ou une télévision ?", estime, un brin provocante, Béatrice Majnoni d'Intignano. "Il donc est logique que la Sécu dérembourse ces produits. Jusqu'ici, l'Assurance Maladie a voulu garder le contrôle sur ces dépenses, mais a de fait bloqué l'optimisation que peuvent faire les complémentaires santé. Dans l'optique, on observe des rentes de situation, un sureffectif des magasins et des fraudes. Le travail que fait Santéclair aurait du être fait par l'Assurance Maladie !", ajoute-t-elle.
Ce point de vue est partagé par le député du Bas-Rhin Yves Bur (UMP). Membre de la Commission des affaires sociales à l'Assemblée nationale, il estime que "lorsqu'on achète une paire de lunettes, on paye le luxe des magasins d'optique. Les complémentaires santé pourraient accompagner les consommateurs avec des dispositifs comme Santéclair" renchérit-il.

Ne pas sortir l'optique du champ de la santé

La Mutualité s'oppose cependant à un désengagement de la Sécurité sociale sur les dépenses d'optique. "Il ne faut pas considérer les lunettes comme un marché ni comme une dépense de confort. C'est un outil de soins, et si on coupe totalement le remboursement du régime général, on risque d'oublier l'aspect santé du produit" répond Jean-Martin Cohen-Solal, Directeur Général de la Mutualité Française. Mais il estime que les complémentaires santé "ne doivent pas être que des acteurs financiers, et doivent apporter un 'plus' qualitatif' en informant et en orientant leurs adhérents.
Rappelons que l'idée de transférer le risque optique aux organismes complémentaires est rejetée en bloc par un grand nombre d'acteurs de la filière. En février 2008, menés par l'Asnav, le CIO (Conseil interprofessionnel de l'optique, qui regroupait alors le Gifo, la Fnof et le Synope), le Snof (Syndicat national des ophtalmologistes de France) et le SNO (Syndicat national des orthoptistes) avaient lancé à ce propos un "Manifeste citoyen" contre cette hypothèse, craignant une "démédicalisation" de l'optique. Ce désengagement est cependant défendu par l'UDO (Union des Opticiens), qui estime que cela permettrait à l'opticien de gagner du temps et d'optimiser les remboursements.