Jean-Luc Selignan, président de la centrale Club OpticLibre, dénonce les nombreuses contre-vérités de l'étude scientifico-économique commanditée par Marc Simoncini et dont certains thèmes ont été récemment repris par l'UFC-Que Choisir. Selon lui, le patron de sensee.com a cherché des boucs émissaires à l'échec commercial de la vente en ligne de lunettes. Dans ce reportage Acuite.TV, il explique que l'étude réalisée par les deux économistes, Mr Martimort, professeur agrégé des Universités, et Mr Pouyet, professeur à l'Ecole Polytechnique et à l'Ecole d'Economie de Paris, est erronée en cinq points :

-1/ Les prix de vente des lunettes en France sont compétitifs, et non pas les plus élevés d'Europe.
-2/ La part de marché du groupe Essilor en France n'a aucun impact sur la compétitivité du marché.
-3/Le secteur de la distribution des produits optiques n'est pas concentré et oligopolistique.
-4/ Les marges brutes et résultats des magasins d'optique français ne sont pas exorbitants.
-5/ La concurrence est exacerbée par le nombre de magasins d'optique.

Jean-Luc Selignan souligne que « pour une défense efficace du métier de l'opticien indépendant, il est préférable de dire toute la vérité sur le modèle économique de notre métier qui n'a rien à cacher, et d'attaquer avec force et en détail les affirmations mensongères de telles études ou enquêtes. Si nous n'argumentons pas avec précision contre ces affirmations mensongères qui sont largement diffusées et reprises par les medias grand public, nous finirons par donner raison à tous les maîtres en matière de propagande, qui professent qu' « un mensonge maintes fois répété devient une vérité », conclut-il.

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Les explications de Jean-Luc Selignan :

1/ Les prix de vente des lunettes en France sont compétitifs, et non pas les plus élevés d'Europe
Dans leur analyse des prix de vente internationaux des verres, ces deux professeurs ne distinguent pas verres progressifs et unifocaux, et ignorent que la France et l'Allemagne sont les deux pays où la part de marché des verres progressifs est la plus élevée (34%), bien supérieure à celle de l'Angleterre et des Etats Unis ( 19% ) ou de l'Italie ( 13% ) .
Comme le coût d'un équipement progressif est deux fois supérieur à celui d'un équipement unifocal, les pays à forte pénétration des verres progressifs ont mathématiquement un prix de vente MOYEN d'équipement optique supérieur à celui des autres pays. Mais ce prix moyen plus élevé correspond à une qualité de correction et de confort visuel meilleure pour les Français (les verres progressifs et individualisés occupent une part croissante du marché). En revanche, les prix de vente français sont en moyenne inférieurs de 6% aux prix de vente allemands, seul pays européen où le taux de verres progressifs est le même qu'en France (Etude GFK 2012).

2/ La part de marché du groupe Essilor en France n'a aucun impact sur la compétitivité du marché (contre-exemple allemand)
L'étude de nos deux « brillants » économistes prétend qu'Essilor, de par sa position importante sur le marché français, organiserait la distribution de façon à maintenir des prix de vente élevés pour le consommateur, et à capter ainsi une plus grande partie de la valeur ajoutée de la filière optique (théorie de la « forclusion »). Mais ces messieurs semblent ignorer que la part de marché du groupe Essilor en France n'est pas, comme ils le prétendent, de 90% (première donnée erronée de cette étude), mais de 66% en valeur et de l'ordre de 50% en volume.
Comparons avec l'Allemagne où la part de marché du groupe Essilor est de 20%, car les fabricants allemands Zeiss et Rodenstock ont sur leur marché national des parts de marché de respectivement 19% et 17%, Hoya étant à 15%. Sur ce marché où Essilor a une part de marché très minoritaire, les prix de vente moyens au public sont supérieurs aux prix français !
Ainsi la théorie de la « forclusion » développée par nos deux économistes est inepte concernant le secteur de l'optique, et ne résiste pas au contre-exemple du marché allemand, puisque sur ce marché, aucun verrier ne domine les autres, et pourtant les prix des verres y sont élevés, reflétant la qualité technologique des verres vendus en Allemagne comme en France.

3/Le secteur de la distribution des produits optiques n'est pas concentré ou oligopolistique
Page 94 de leur étude, nos deux « éminents » économistes affirment avec aplomb que les 5 principaux groupes de distribution détiennent 70% des points de vente et 73% du marché. Or ils intègrent dans leurs chiffres les magasins indépendants adhérents à des centrales d'achat telles que Club OpticLibre. Il leur a échappé que les centrales d'achat ne détiennent pas leurs points de vente adhérents mais n'agissent que comme grossistes pour le compte d'indépendants qui ont chacun leur propre politique commerciale et sont concurrents entre eux. En enlevant de l'analyse ces points de vente indépendants adhérents à des centrales d'achat, il s'avère que les cinq principaux groupes de distribution (Krys, Optic 2000, GrandVision, Atol et Afflelou) détiennent 42% des points de vente, et non pas 70%.
Le secteur de la distribution optique n'est pas concentré, contrairement à beaucoup d'autres secteurs où les indépendants traditionnels ont quasiment disparu : la part de marché des cinq premiers acteurs de la distribution alimentaire que sont Carrefour, Auchan, Casino, Leclerc et Intermarché atteint 76 % (source TNS World Panel).

4/ Les marges brutes et résultats des magasins d'optique français ne sont pas exorbitants
Page 40 de l'étude, il est indiqué que la marge brute d'un magasin d'optique serait de 63%, ce qui est évidemment surévalué. La moyenne de la marge brute de toutes les formes d'exploitation (individuelles ou en société) d'un magasin d'optique est de 57%, selon l'analyse sectorielle 2011 de l'Ordre des Experts-Comptables. Ce niveau de marge brute est parfaitement justifié par le fait qu'un opticien n'est pas seulement un commerçant qui vend des produits en l'état pour payer les charges de son magasin , mais aussi un professionnel de santé qui crée un produit sur mesure pour son client, et passe 152 mn pour réaliser une vente ( contrôle de la correction , prise de mesures , commandes des verres sur mesure , centrage et taille des verres , montage et ajustage des lunettes , traitement administratif des dossiers Sécurité Sociale et mutuelles ) .
La marge brute de 70% d'un restaurateur, de 80% d'un ébéniste qui transforme du bois en meuble, ou de 98% d'un médecin est-elle exorbitante ?
Nos deux économistes, toujours aussi peu rigoureux intellectuellement, prétendent que les charges de personnel d'un magasin d'optique sont de 13% du chiffre d'affaires et le résultat courant de 20% du chiffre d'affaires. Ils n'ont pas remarqué que leur statistique provient de l'Union des organismes de gestion agréés et ne concerne que les entreprises individuelles du secteur, soit aujourd'hui moins de 10% des magasins d'optique en France, où le résultat courant est la rémunération de l'opticien indépendant ! Dans les magasins exploités sous forme de société (SARL, SA, SAS), les charges de personnel se montent à 27% et le résultat, par différence, représente 6 % du CA.

5/ La concurrence en France est exacerbée par le grand nombre de magasins d'optique
Page 91 de l'étude, il est prétendu que la densité de points de vente d'optique par habitant serait en France deux fois et demi supérieure à celle des Etats Unis. Ceci est faux car nos deux économistes qui connaissent mal l'organisation de la distribution optique aux USA, ne prennent pas en compte les 30000 optométristes et professionnels de santé qui vendent des équipements optiques, non seulement dans les 20000 points de vente référencés dans l'étude, mais aussi directement dans leurs cabinets ! En intégrant bien tous les points de distribution optiques dans l'analyse du marché américain, la densité des points de distribution par habitant aux Etats Unis est similaire à celle constatée en France.

A l'appui de leur démonstration, ils indiquent que, s'il y a un tel nombre de magasins d'optique en France (11500 points de vente), c'est parce que les prix et marges dans l'optique sont tels qu'ils permettent à de trop nombreux magasins de bien vivre ou de survivre. Cet argumentaire a également été repris récemment par l'enquête UFC /QUE CHOISIR.
Quelle est cette théorie fumeuse qui prétend que plus il y a de magasins d'optique, plus il y de concurrence ....et plus les prix sont élevés ! Cette théorie constitue une insulte au bon sens économique le plus élémentaire qui associe naturellement concurrence exacerbée et baisse des prix. Nos théoriciens et Mr Simoncini avec eux, n'ont pas compris que la concurrence dans le secteur de l'optique s'effectue sur les prix ET sur les services. Que le fait pour un opticien d'être proche de ses clients, de leur consacrer du temps pour une prise de mesure précise et pour la fabrication dans le magasin de leur équipement optique sur mesure, lui permet de vendre des produits de haute technologie (verres progressifs, éventuellement personnalisés), sans faire prendre le moindre risque sanitaire à ses clients. C'est un avantage concurrentiel structurel des magasins d'optique par rapport à Internet.

Monsieur Sélignan, Président de Club OpticLibre, conclut que pour une défense efficace du métier de l'opticien indépendant , il est préférable de dire toute la vérité sur le modèle économique de notre métier qui n'a rien à cacher , et d'attaquer avec force et en détail les contre-vérités de telles études ou enquêtes, plutôt que d'utiliser des arguments peu convaincants du type « une paire de lunettes coûte moins cher qu'un café par jour » ou « les pouvoirs publics savent bien que l'interprétation chiffrée d'une étude n'engage que ses auteurs » .

Si nous n'argumentons pas avec précision et honnêteté face à ces affirmations approximatives et souvent mensongères, nous laisserons le terrain à ceux qui veulent, pour en tirer un profit personnel, ternir l'image des vrais professionnels de l'optique en diffusant ces affirmations dans les medias grand public, et finirons par donner raison aux propagandistes de tous bords qui professent qu' « un mensonge maintes fois répété devient une vérité ».

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